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Die Zauberflöte à l ‘Opéra Bastille - Jordan l’enchanteur - Compte rendu

Vingt ans après s’être essayé à La Flûte enchantée pour le Festival d’Aix-en-Provence, Robert Carsen remet l’ouvrage sur le métier. Si la forme de son nouveau spectacle testé l’an dernier à Baden-Baden, résolument tournée vers la modernité grâce à l’utilisation des techniques nouvelles, varie du point de vue visuel, le fond se renouvelle peu. Le Canadien soigne comme toujours le cadre, transposant l’intrigue tantôt dans une nature verdoyante (rendue plus vivante encore par d’immenses projections vidéo signées Martin Eidenberger), tantôt sous terre ; la magie ne l’intéresse pas. Adepte des relectures, le metteur en scène se plait à brouiller les relations entre les personnages au risque de perdre les non « initiés » ; comme en 1994, Sarastro et la Reine de la Nuit ne sont plus ennemis, mais amants, pour mieux éprouver Pamina et son fiancé Tamino, ce qui rend certaines scènes du second acte difficilement compréhensibles, notamment la tentative de meurtre de Sarastro par la Reine de la Nuit et ses Dames, tout simplement esquivée ici.
 

Sabine Devieilhe (photo © Opéra national de Paris - Agathe Poupeney)

Loin de l’Egypte imaginée par Schikaneder, le voyage initiatique imposé à Tamino pour délivrer sa bien aimée, est marqué par l’image quasi obsédante de la Mort, symbolisée par ces tombes fraîchement creusées par Monostatos et ses fossoyeurs (1er acte), par lesquelles il devra descendre avec Papageno pour rejoindre le royaume de Sarastro. Le deuxième acte se situe dans une nécropole reliée par une interminable échelle où le Prince-Chevalier devra subir une série d’épreuves rituelles, avant de célébrer la victoire du Soleil sur les Ténèbres. Comme on peut le constater, l’opposition manichéenne des principes contraires soulevés dans le livret (lumière/obscurité, bien/mal, homme/femme, eau/feu..) n’est pour Robert Carsen qu’apparence. Seule compte pour lui la prise de conscience du caractère éphémère de l’existence humaine, après avoir fait l’expérience du danger et de la mort. Au bout du compte, un spectacle sobre, élégamment réglé, mais qui n’empêche pas une certaine monotonie et une impression de déjà vu.

Déjà Tamino à Baden-Baden, Pavol Breslik est un interprète un brin timide au 1er acte, dont la voix au grain clair gagne en substance et en assurance au fil de la représentation. Son Papageno n’est plus le bondissant Michael Nagy, mais le terne Daniel Schmutzhard, honnête baryton, qui peine à faire exister son personnage de SDF des bois, même après avoir conquis le cœur de sa Papagena, la fraîche Regula Mühlemann. Succédant à Kate Royal, Julia Kleiter est une délicieuse Pamina dont on ne peut que louer la luminosité et la transparence, véritable petite fille face à sa mère, une Reine de la Nuit que Sabine Devieilhe, pour ses débuts in loco, fait sienne en un instant : diction parfaite, vocalises assurées, présence vocale et scénique, tout est là. Passons rapidement sur les trois Dames aux voix imparfaites, pour saluer le Monostatos trépidant de François Piolino, avant de s’interroger sur la très inquiétante prestation de Franz-Josef Selig, Sarastro à la voix tremblante, privée d’éclat et de projection ; espérons qu’il s’agit là d’une indisposition passagère.

Après Elektra et avant Tristan, Philippe Jordan s’accorde une parenthèse enchantée avec ce Mozart de la maturité, dont il concilie admirablement les contraires dans un grand geste salvateur. Au faîte de son inspiration et de sa palette expressive, le chef impressionne par la densité de sa direction, qui mêle tout ensemble noblesse et trivialité, comédie et tragédie, puissance et volubilité, ainsi que par la qualité de son accompagnement au cantabile soutenu, duquel émane une profondeur mystique que l’on ne lui soupçonnait pas. L’enchanteur c’est lui !  
 
François Lesueur
Mozart : La Flûte enchantée, 11 mars, prochaines représentations les 14, 17, 20 22, 25, 29 mars, 1er, 6, 10, 13 et 15 avril 2014
http://www.concertclassic.com/concert/la-flute-enchantee-de-mozart-3

Photo © Opéra national de Paris - Agathe Poupeney

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