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Danse / La Source à l’Opéra de Paris - Marché de luxe - Compte-rendu

Elle coule de tous ses cristaux, cette Source que l’Opéra inscrit à son répertoire après des décennies d’oubli ; de ces cristaux Swarowski dont l’enchanteur Christian Lacroix a inondé les costumes ébouriffants d’une fantaisie orientaliste, située au Caucase - celui d’Alexandre Dumas - revenue enchanter un public dressé par Pina Bausch ou Forsythe, et quelque peu ahuri de se retrouver au cœur des rêves Second Empire. Ahuri mais ravi car le spectacle se savoure comme une friandise raffinée.

Quelques bémols cependant : outre le mariage hasardeux entre la musique de Minkus et celle de Delibes, qui fut pratiqué à l’époque et que Marc-Olivier Dupin a remaniée, on regrette que le ballet ne comporte ni les séquences chorégraphiques majeures de la Bayadère, autre carte de visite lamée que l’Opéra ressort régulièrement, ni la tension psychologique et la portée symbolique d’un Lac des Cygnes ou d’une Giselle, ni la magie des féeries crées par le tandem Petipa-Tchaïkovski. Il n’en possède pas moins un charme languide bien à lui, né de l’opposition traditionnelle entre esprits dansants et êtres de chair, et de la chorégraphie fluide de Jean-Guillaume Bart, qui l’a totalement chorégraphié, dans un style souple et élégant, auquel manque juste une sensualité plus affirmée pour le personnage de Naïla, héroïne terrestre.

On y retrouve la trace des bras ondulants du style russe façon Fokine, très éloigné de la noblesse et du brio à la française, autant que des performances gymniques qui ont aujourd’hui succédé aux prouesses soviétiques. On y respire quelques bouffées d’une Nuit d’été neumeierienne, avec un Génie des eaux aussi facétieux que Puck, et des esprits gambadants tels les elfes de la forêt shakespearienne, on y ressent un peu de la subtilité de Robbins, qui jamais ne poussait ses modes d’expression. Et on ne peut pour autant parler d’emprunts, mais simplement de bonne gestion d’un héritage, auquel le très académique et très perfectionniste Bart reste attaché par-dessus tout, et que sa patte fait revivre avec style, en y incorporant quelques portés d’une difficulté machiavélique.

Un point d’histoire : le ballet, signé d’Arthur Saint-Léon, porta la marque du genre noble autant que du romantisme finissant - à preuve, c’est l’héroïne de chair qui l’emporte tandis que la Source, sœur des willis et autres sylphides, se sacrifie et meurt, de même que pour Coppélia, du même Saint-Léon quelques années plus tard (70). Le chorégraphe était alors à cheval entre Paris et Saint-Pétersbourg, où il dirigea le ballet jusqu’à sa mort. Après ses représentations parisiennes, La Source fut portée sur d’autres scènes européennes puis sombra dans une trappe. Jusqu’au prince qui réveille la belle : Jean-Guillaume Bart, étoile racée, fut très vite happé par le démon de la chorégraphie, et par l’idée de cette Source, dont il rêva pendant quinze ans. Sa passion, son exigence sur le plan de la survie du plus poétique des patrimoines ont séduit Brigitte Lefèvre, qui lui donné d’immenses moyens.

Reste donc une immense fresque délicieuse à contempler, dans ses tracés fluides, son histoire au charme presque enfantin, ses cosaques pas très effrayants, ses envols de tutus arachnéens, cousus dans des teintes irisées par des artistes d’atelier qui devraient venir saluer en scène, l’éblouissement de tenues orientalisantes aux couleurs de miniatures persanes, avec juste quelques ratages - les pantalons de mousseline des almées trop collants, là où Bakst les faisait flotter. Et bien sûr la grâce des interprètes, de Ludmilla Pagliero, menue et éthérée, et Isabelle Ciaravola, si belle dans sa tenue fuchsia et turquoise, mais comme un peu absente, au brillantissime Matthias Heymann, peint en vert, dont la danse ressemble à des trilles. On n’en a pas fini avec cette Source, car elle représente un investissement matériel, technique et psychologique considérable, dont l’Opéra ne laissera sans doute pas oublier l’importance. Et puis, rien n’a plus de goût que la bonne eau.

Jacqueline Thuilleux

La Source – Paris, Palais Garnier, le 22 octobre, puis les 25, 26, 27, 28, 29, 31 octobre et les 1er, 2, 3, 4, 5, 7, 8, 9, 10, 11, 12 novembre 2011 www.operadeparis.fr

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Photo : Anne Deniau / Opéra national de Paris
 

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