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Création du Papillon Noir de Yann Robin – Monologue dans l’au-delà – Compte-rendu

C’est dans le passage de la vie à la mort d’un être humain que nous entraîne le monodrame Le Papillon Noir de Yann Robin et Yannick Haenel, dans une ambiance infernale rendue magistralement par le chœur Les Métaboles, l’Ensemble Multilatérale et la chanteuse comédienne Elise Chauvin. Créé à Marseille le 12 mai, l’ouvrage a été repris quelques jours plus tard à Gennevilliers.

Il aura fallu neuf ans au compositeur Yann Robin et à l’écrivain Yannick Haenel pour collaborer autour d’une œuvre lyrique. Le résultat n’en est que plus dantesque puisque les deux complices se sont entendus pour décrire le passage de la vie à la mort d’un être humain transgenre. Sous leur influence, cet instant fugace devient un moment d’éternité d’une heure quinze au cours duquel l’auditeur assiste, dans une ambiance de désagrégation sonore, à l’extinction d’un être vivant. Les cordes de l’Ensemble Multilatérale frottent, tapent et grincent, les cuivres aux embouchures retournées produisent des sons soufflés, les percussions battent comme un cœur affolé, tintent comme un glas ou martèlent les temps forts de cette descente aux enfers. Le chœur des Métaboles psalmodie des mantras du Livre des Morts tibétain (le Bardo Thödol) , halète comme une âme à bout de souffle, vocifère des mots secrets sous la direction énergique et inspirée de Léo Warynski.

Yann Robin © MGrinand

Dans cette ambiance d’outre-tombe, trois maelströms sonores marquent les passages dans les strates de cette fantasmagorie sonore où des portes se ferment et où s’ouvrent des vacuités insondables. Seul guide de l’auditeur, la voix claire de la chanteuse lyrique et comédienne Elise Chauvin plane au-dessus de ce capharnaüm sonore et prononce rythmiquement le monologue d’un homme devenu femme par amour de l’amour et qui découvre peu à peu la gravité de son accident, puis la fuite de sa vie, puis l’imminence de sa disparition. Le dernier phonème se confond avec la dernière note, laissant le public pantelant et effaré par le vide du silence.   

C’est peu dire que le texte de Yannick Haenel est d’une rare intensité dramatique avec ses récits crus et décousus, ses redites décalées et ses images qui fuient aussitôt qu’esquissées : « Pour un écrivain, écrire un livret d’opéra est une expérience séduisante, mais je ne me voyais pas écrire des arias, confie l’auteur. J’ai donc écrit ce texte spécifiquement pour Le Papillon Noir et pour voix de femme, en m’inspirant des monologues de Beckett. J’ai ainsi fait relater l’état de mort par un vivant, chose qui est évidemment impossible. Mais je crois qu’il revient à tous les artistes d’être tenus à l’impossible ».

Léo Warynski © DR

Comme en écho à l’effort surhumain de son ami écrivain, Yann Robin a réussi une composition magistrale où les sons des instruments, les voix des choristes et le monologue de la soprane se conjuguent pour créer une pâte sonore fantastique et captivante : « C’est une musique très énergique, puissante, déconnectée des notions de tonalité et d’atonalité et où le chœur mélange lyrisme et saturation du son pour que sa granulation fusionne avec celle de l’orchestre, témoigne le jeune chef Léo Warynski, qui confirme là sa capacité et celle de son ensemble vocal des Métaboles à rendre mélodieuses les musiques les plus improbables. Diriger le Papillon Noir implique de travailler sur la pulsation et le rythme et de gérer les énergies produites pour dramatiser l’action. C’est une direction très virtuose ».

Le compositeur, qui avoue n’en être qu’à sa seconde expérience chorale et à son premier opéra, dévoile une partie de ses intentions : « Mon premier concept était d’introduire le son de mantras du Bardo Thödol, comme le mantra original « Om », dans la musique elle-même et de mêler ainsi les sons purs du chœur avec les sons et la voix impurs de l’orchestre et de la soliste, explique Yann Robin. C’est pourquoi j’avais besoin que cette dernière soit autant actrice que chanteuse afin qu’elle dise le texte dans la métrique de la partition. Cette ligne vocale singulière m’ouvre d’ailleurs des perspectives de développement pour renouveler le genre opératique ». Une intention qui rappelle celle de Poulenc dans La Voix humaine ou, plus récemment, de Philip Glass dans La Belle et la Bête et qui, tout en s’en distinguant, se traduit aussi par une réussite. De quoi se demander si le français n’a pas vocation à être récité plutôt que chanté. Une question à laquelle le public breton répondra peut-être durant la saison 2019-2020 du Théâtre national de Bretagne, puisque Le Papillon Noir y sera redonné en version mise en scène.

Michel Grinand

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Yann Robin/Yannick Haenel :  Le Papillon Noir (version de concert) – Gennevilliers, Concervatoire - Auditorium Edgar Varèse, 18 mai 2018

Photo © MGrinand

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