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Compte-rendu : Une reprise exemplaire - Les Noces de Figaro à Tourcoing

Il y a deux sortes de reprises à l’opéra. Celles qu’on fait par souci d’économie, car cela reste toujours moins cher qu’une nouvelle production : un acte de raison un brin tristounet. Et puis, les reprises de spectacles qui ont marqué les esprits et que le public réclame : tel fut le cas des fameuses Noces de Figaro signées Giorgio Strehler, qui avaient ouvert le règne de Rolf Liebermann à l’Opéra Royal de Versailles en 1973 et l’avaient clos lors de la matinée gratuite du 14 juillet 1980 au Palais Garnier, avant de déménager définitivement à la Bastille où elles poursuivirent une carrière de plus d’un quart de siècle au total !

La « Trilogie Mozart/Da Ponte » montée d’abord à l’Atelier Lyrique de Tourcoing par Jean-Claude Malgoire et Pierre Constant appartient à ces événements mythiques. Elle fut invitée par Jeanine Roze au Théâtre des Champs-Elysées et obtint le Prix de la Critique 1995. Voilà qu’elle retrouve l’affiche quinze ans après tant à Tourcoing qu’à Paris. Première collaboration entre Wolfgang et l’abbé Da Ponte, Les Noces de Figaro viennent d’être présentées ce week-end au Théâtre Municipal de Tourcoing.

Le renouvellement quasi complet de la distribution – quinze ans, c’est presque une carrière de chanteur ! – obligeait les maîtres d’ouvrage à tout remettre sur le métier. Cette nécessité a rencontré la volonté déterminée de Jean-Claude Malgoire et de Pierre Constant de tout oublier pour mieux repartir de zéro… Si cela est possible ! Mais c’est l’intention qui compte et elle fut salvatrice. Car, fait rarissime, on n’a ni l’impression de retrouver le passé, ni celle d’être totalement dépaysé. Ce qui est important, c’est que celui qui a aimé le spectacle d’origine ne ressent aucune déception et qu’il est bien incapable, s’il veut être honnête, de toujours deviner ce que Pierre Constant a pu rajouter…

On se rappelle la gageure que se sont imposée les deux compères pour cette trilogie (Cosi fan tutte et Don Giovanni vont suivre) : un seul et même décor marqué au sceau de l’élégance dépouillée pour l’action des trois opéras. Une grande arche ouvre sur le fond de scène qui se colore ou s’obscurcit en fonction du temps qui passe, successivement balcon donnant sur le jardin d’Antonio, campagne, nature rousseauiste, parc nocturne du Comte pour le dernier acte des Noces. C’est sans doute ici que Pierre Constant est le plus brillant. Ce qui précède relève du parfait vaudeville signé Beaumarchais : les portes claquent d’elles-mêmes sans que le metteur en scène ait à se poser trop de questions.

L’obscurité de l’acte du jardin a servi de prétexte à plus d’un pour pratiquer l’obscurantisme le plus pernicieux où une vache ne retrouverait pas son veau ! Avant le surtitrage, le malheureux spectateur était largué dans 80% des cas… Cette fois, c’est le surtitre qui est superflu, Pierre Constant ayant à cœur de tout dévoiler de ce qui se trame dans les parfums de la nuit. L’idée est simple : la nuit est tombée sur la fin de l’acte trois pour se réfugier au quatre dans le jardin du fond de scène. L’aire de jeu est alors laissée aux lumières poétiques et indiscrètes de Jacques Rouveyrollis, Fragonard du projecteur, coquin qui prend un malin plaisir à soulever le tapis des tables comme les robes des dames…

D’emblée cette nuit d’ivresse amoureuse est symbolisée par un unique calice de vin rouge qui passe dans toutes les mains. Les jeux de scène sont millimétrés, surtout le combat des coqs (le Comte et Figaro) pour la conquête du poulailler : on est vraiment au théâtre, comme Mozart l’a voulu. Mais aussi les soufflets administrés par Suzanne à son Figaro qui pourrait se prendre à anticiper le « batti, batti » de Masetto dans Don Giovanni.

L’innovation de cette reprise vient in extremis, après le brame du Comte qui implore le pardon de sa moitié, au moment où les protagonistes se figent, des portes latérales surgissent des valets affolés qui courent en tout sens renversant au passage le Comte et la Comtesse désunis pour l’éternité comme les amants d’Edith Piaf séparés par la foule… Au soir du 14 juillet, le monde ancien est mort, Figaro peut régner en toute quiétude sur le poulailler : l’image est belle. Du vrai théâtre historique fidèle à Beaumarchais comme à Mozart.

Rien de tout cela ne marcherait sans le maître du temps qu’est Malgoire, impérial et humble, chez lui dans l’éternité mozartienne. Et puis, ces jeunes chanteurs merveilleux acteurs qui ont l’âge de leurs rôles : la Comtesse d’Ingrid Perruche, la Suzanne d’Elena de la Merced, le Chérubin de Lina Markeby, la Barberine de Marie Planinsek ou le Figaro de Joan Martin Royol. De l’ancienne équipe reste le prodigieux Comte de Nicolas Rivenq dont on devine ce qu’il a pu apporter à ses cadets par sa seule présence en scène.

Jacques Doucelin

Tourcoing, le 28 mars 2010

La « Trilogie Da Ponte » au Théâtre des Champs-Elysées :
Les Noces de Figaro : 25, 28, 29 mai (19h30)
Cosi fan tutte : 2, 3, 5 juin (19h30)
Don Giovanni : 7, 9, 11 juin (19h30)

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Photo : Danielle Pierre
 

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