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Compte-rendu : Rossini inaugure la saison du Grand Théâtre de Genève - Un Barbier jamais rasoir

Il a beau être célèbre, Le Barbier de Séville reste l’un des ouvrages de Rossini les plus difficiles à monter. La réussite du jeune metteur en scène Damiano Michieletto et de son formidable décorateur Paolo Fantin en ouverture de la saison Grand Théâtre de Genève n’est est que plus méritoire.

En situant l’action dans un immeuble napolitain, ils font un clin d’oeil à l’Italie populaire davantage qu’à Séville, dont Rossini se souciait à peu près autant que de Palavas-les-Flots. Mais surtout, ils utilisent magnifiquement l’espace dans un décor réversible permettant de jouer malicieusement avec les figurants autant que de créer quiproquos, farces et entrechocs comiques à foison. L’ensemble ne tombe jamais dans un « bougisme » systématique, ni dans le folklore décoratif d’une Espagne prétexte - ne demeure que le poster d’Antonio Banderas que viendra jalousement arracher Bartolo dans la chambre de Rosina ! Aucune facilité : l’ensemble de ce dispositif grand luxe n’est là que pour servir la musique et trouve à partir d’une direction d’acteurs millimétrée une adéquation parfaite avec cette farce poétique. L’air d’entrée de Figaro fait tournoyer l’ensemble du décor et la scène de la calomnie donne lieu à une magnifique pluie de coupures de journaux, relevée par le chœur au rythme des fameux crescendi du maestro Gioacchino.

Mais ce n’est pas le seul mérite de cette ouverture en fanfare de la deuxième saison de Tobias Richter à la tête de l’institution genevoise. Après Paolo Arrivabeni pour La Donna del lago en mai dernier, c’est au tour d’Alberto Zedda d’allonger la liste des grands chefs rossiniens - ils ne sont pas si nombreux - venus à Genève. Auteur de l’édition critique du Barbier (1969) qui fait désormais autorité, il dirige ici alternativement les deux versions de l’oeuvre, celle pour mezzo et celle pour soprano, plus rare, que nous avons vue. En plus des acrobaties vocales qui réclament un art belcantiste achevé, elle apporte beaucoup plus de juvénilité au personnage de Rosina.

Honnête, la distribution manque parfois d’éclat. John Tessier en Almaviva, et en culottes courtes, est un amoureux délicat au timbre doux qu’on imaginerait davantage chez Britten que dans la majesté rossinienne. La Canadienne Jane Archibald, qu’on avait connue à Genève toute étriquée dans le costume de la Reine de la nuit, a fait des progrès considérables en projection et a épaissi ses aigus. Elle manque encore pourtant d’italianité et de maîtrise pour se hisser sur les sommets de cette Rosine athlétique. Heureusement, le Bartolo d’Eduardo Chama et le Basilio d’Ugo Guagliardo ont le « bouffe » solide et sont irrésistibles en dindons de la farce.

Mais c’est surtout le Figaro de Pietro Spagnoli, déjà star de la belle production de Londres aux côtés de Florez et Di Donato (disponible en DVD), qui tire son épingle du jeu. Graves insolents, débit de chiacchierone, alerte en diable, il a en prime le physique idoine tout droit sorti d’une comédie italienne des années 50.

Dans la fosse, le maestro Zedda livre un Rossini ciselé, presque chambriste, toujours vif mais jamais pressé - qui se paie même le luxe de subtiles couleurs mozartiennes lors du duo amoureux du deuxième acte. Sans parler d’une ouverture qu’on croyait entendre pour la première fois, avec une santé insolente et des solistes en apesanteur (quel cor !). Un régal !

Luc Hernandez

Rossini : Le Barbier de Séville – Genève - Grand Théâtre, le 5 septembre, puis les 13, 14, 16, 18, 19 septembre 2010 (retransmission sur RSR-Espace 2 le 23 octobre)

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