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Compte-rendu - Pastorale au Châtelet - Astrée en sabots de plomb


Il y a trois ans était dévoilée par l’Opéra de Stuttgart Pastorale, nouvelle création lyrique de Gérard Pesson (né en 1958) contant les amours de Céladon et Astrée d’après le monumental roman d’Honoré d’Urfé (1567-1625). L’œuvre alors dirigée par l’excellent Kwamé Ryan (aujourd’hui chef de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine) est aujourd’hui reprise par l’Orchestre Symphonique Région Centre-Tours et son directeur artistique depuis quatorze ans, Jean-Yves Ossonce. Inattendus dans ce répertoire, orchestre et chef sont les bonnes surprises de cette production.

La musique de Gérard Pesson réclame de ses interprètes au moins autant que de ses auditeurs une attention soutenue. C’est une musique de l’intime, qui trouve le plus souvent à s’exprimer dans le domaine chambriste. Marquée en cela par la pensée musicale d’Helmut Lachenmann, elle révèle ce que pourrait être l’essence originelle du son instrumental : les vents sont d’abord souffle, les cordes avant tout frottement.

Grande forme, en quatre actes et deux heures de musique, Pastorale étire et finalement dilue quelque peu le langage habituellement plus ténu, moins volubile du compositeur. Le jeu des pastiches et citations allusives ou tronquées, répété, banalise à force le discours musical plus qu’il ne l’orne. La grande force de Jean-Yves Ossonce est d’avoir maintenu l’implication de ses musiciens dans cette œuvre toute en faux rythme, sans surtout se laisser distraire par ce qui se passait sur scène.

Très prosaïquement illustrative, la mise en scène de Pierick Sorin ne parvient jamais à donner du rythme à une œuvre qui manque – parce que ce n’est pas son propos – de densité dramatique. Le travail de Pierick Sorin sur La Pietra del Paragone de Rossini, en ce même Théâtre du Châtelet en 2007, venant renforcer la mise en scène de Giorgio Barberio Corsetti, avait pu être apprécié. Ses seules fantaisies vidéo tiennent cette fois lieu de mise en scène, à la fois décor (projection agrandie sur l’écran de fond de scène de dioramas miniatures) et action scénique – mais la présence sur scène de cameramen encapuchonnés ne suffit pas à faire mise en abyme. Pour quelque heureuse trouvaille fugace (le plongeon de Céladon dans les eaux du Lignon, simultanément le chanteur s’engloutissant entre les planches et un mannequin miniature plongé dans un aquarium), combien d’interminables gags dignes – la technologie en plus – de kermesses de village !

Filmant ses chanteurs en gros plan (se prépare-t-il pour le Stade de France ?), adoptant continuellement les cadrages complaisants du quotidien télévisuel, Pierick Sorin prend bien peu de distance vis-à-vis de ses images, ce qui étonne et inquiète chez un vidéaste de métier.
Peu préoccupé de jeu d’acteurs, il abandonne le plateau à la chorégraphie. Celle de Kamel Ouali, très gymnastique, brouillonne et maniérée, à grand renfort de grimaces et mouvements de bras, tantôt tendus, tantôt ballants, achève d’encombrer l’espace scénique. Beaucoup d’agitation donc, mais guère de sens. Comme tout cela est vain !

Resterait la possibilité de fermer les yeux et écouter si le Théâtre du Châtelet n’avait eu la fâcheuse idée – dans quel but ? – d’« oser » l’hétérogénéité des voix en confiant deux rôles – ceux de Phillis et Diane, qui deviennent ainsi immédiatement identifiables – à de plus ou moins anciennes lauréates d’émissions télévisées à succès (Star Academy et La Nouvelle Star). Leurs interventions, en manque de justesse et de projection, dénaturent un peu plus l’œuvre et les chansons que Gérard Pesson a été prié de leur composer y ajoutent bien peu. Seul finalement le ténor Olivier Dumait s’en tire dignement, vocalement remarquable en Céladon et scéniquement convaincant sans être pourtant vraiment dirigé.
Le mélange des genres – la notion de « cross-over » est actuellement très en vogue – aura-t-il au moins permis de toucher d’autres publics ? Rien n’est moins sûr. Car, s’il y avait certes parmi le public quelques jeunes ou très jeunes spectateurs, la salle sonnait tout de même creux, et plus encore après l’entracte quand les rangs devinrent de plus en plus désertés.

Jean-Guillaume Lebrun

Paris, Théâtre du Châtelet, samedi 20 juin 2009, dernière représentation le 24 juin

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Photo : Marie-Noëlle Robert

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