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Compte-rendu - Mahagonny à Nantes - Le vrai visage d’une oeuvre méconnue


Mahagonny reste, d’entre tous les ouvrages lyriques issus du travail commun de Brecht et de Weill, le plus ironiquement désespéré. Patrice Caurier et Moshe Leiser ont finement saisi cette subtile alliance. Leur théâtre fait avec trois bouts de ficelle – décors en carton, rampe d’éclairage ne se cachant pas, lumières de vrai théâtre, donc expressives – mise tout sur une direction d’acteur désarmante de simplicité, évidente. Il faut dire qu’avec le génie dramatique de Brecht et la musique distanciée de Weill il n’y a qu’à se laisser faire. Encore faut-il savoir produire cet abandon et lui donner sens.

D’abord en se gardant de tout appui : on en a vu des Mahagonny lourdement revendicatifs, avec leur lot de Trinity Moses chargés, de Begbick trop maquerelles, de Jenny seulement péripatéticiennes, pour ne rien dire des relectures uniquement politiques. Ici chacun vit un vrai destin humain, ceci renforçant encore le monstrueux système qui va broyer Jimmy, le poursuivant par-delà sa mort. Comme les menteurs en scène le lui font dire après sa pendaison : « quel Dieu ? ». Mahagonny est une parabole pour la mort de l’espoir. On l’aura rarement perçu avec cette implacable acuité.

Distribution impeccable : une étonnante Nuala Willis, avec une voix éprouvante qui ne nuit pas a son personnage, fait la plus tristement blasée, la moins rapace des Begbick, Elzbieta Szmytka ne tombe jamais dans la tentation du cabaret song, ornant son « Moon of Alabama » de vocalises, Andrew Rees nous fait le plus attachant des Jimmy, non seulement dans sa mort, mais aussi dans ses moments les plus noirs et ses trois compagnons de débauche sont finement caractérisés, loin là encore de toute caricature. On rend les armes devant le Jack O’Brien d’Eric Huchet, voix en or, acteur prodigieux, mort avant d’avoir mangé son troisième veau. Une mention spéciale au chœur.

Pascal Verrot dirige très large, évitant tous les clichés qui dévoient en général l’œuvre : il savoure avec nostalgie les songs, donne à entendre les couleurs et les atmosphères si variées des scènes, dirige non pas une revue mais bien un opéra, et l’un des plus touchant qui soit, du moins dans cette production. C’est assez rare pour y insister.

Jean-Charles Hoffelé

Kurt Weill : Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, Théâtre Graslin, Nantes, le 26 février, puis les 1er et 3 mars. Ensuite la production se voit au Grand Théâtre d’Angers, les 10, 12 et 15 mars.
Réalisé en coproduction avec l'Opéra de Lille, le spectacle y est repris les 3, 5, 7 et 9 avril 2009


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Photo : Jef Rabillon pour ANGERS NANTES OPERA

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