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Compte-rendu : Luiz Fernando Pérez - Un poète aventureux


L’affaire est réglée comme du papier à musique : tous les ans le Festival Piano aux Jacobins de Toulouse organise un récital en collaboration avec le très actif Institut Cervantes de la ville rose. Après le merveilleux Joaquin Achucarro l’année dernière, c’est la plus brillante figure sans doute de la nouvelle génération du piano espagnol que le cloître des Jacobins accueillait : Luis Fernando Pérez (né en 1977).

La sortie en 2007 en France d’une passionnante version d’Iberia (Verso/dist. Codaex) avait instantanément mis en éveil l’oreille des amoureux de musique espagnole - et de grand piano tout simplement. Depuis le nom de Pérez s’est peu à peu répandu chez nous (Roque d’Anthéron, Grange de Meslay, etc.) et un premier volume des Nocturnes de Chopin (Mirare) est venu confirmer l’envergure de l’artiste.

Méfions-nous du disque cependant car si le Chopin qui occupe la première partie du récital toulousain de Pérez présente une aussi belle qualité du dessin, il tranche sur la dimension lumineuse et apollinienne de l’enregistrement par son caractère tourmenté, inquiet, imprévisible. Un Chopin qui aurait contemplé le Goya des Caprichos : ainsi pourrait-on décrire cette interprétation de la Ballade n°1, des Nocturnes op 27 et op 48 (où le second est joué avant le premier) et du Scherzo n°3. Les miasmes et les pâmoisons ne sont pas l’affaire de Pérez ; il compte avec urgence des histoires qui paraissent s’inventer sous ses doigts. Son engagement et ses prises de risques peuvent au premier abord surprendre l’auditoire mais emportent finalement son adhésion tant le propos de ce poète aventureux se révèle cohérent.

En seconde partie, cinq extraits d’Iberia (Evocacion, El Puerto, Almeria, El Albaicin et Triana) forment une « suite miniature » idéalement équilibrée ; elle montre combien l’Albéniz de Pérez s’est enrichi au fil du temps. Toujours aussi guitaristique pour la netteté des attaques, la vigueur du rythme, la clarté des harmonies, son jeu a gagné en chair, en variété des timbres, sans aucunement s’alourdir ou s’épaissir – le temps a sûrement permis aussi aux précieux conseils d’une Larrocha et d’un Bashkirov de produire leurs fruits… Il est vrai que l’acoustique unique de la salle capitulaire magnifie ce jeu aussi dense qu’évocateur… Noblesse, ardeur et simplicité : à l’évidence l’artiste s’inscrit dans la lignée des Larrocha, Sanchez, Orozco et autre Achucarro.

Face à tant beauté, le public ne ménage pas son enthousiasme : une demi-heure de bis (Nin-Culmell, Guastavino, Albéniz – Asturias littéralement réinventé ! –, Granados…) couronne avec une belle générosité une soirée que les fidèles des Jacobins ne sont pas près d’oublier.

Alain Cochard

31e Festival Piano aux Jacobins, Toulouse, cloître des Jacobins, 14 septembre 2010



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Photo : DR

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