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Compte-rendu - Le Crépuscule des Dieux au Festival d’Aix - Le bonheur est dans la musique

Un festin dont on sort ébloui mais pas forcément comblé. Le Ring wagnérien, grand pari de la nouvelle scène aixoise qui y a déployé toutes ses forces, et dieu sait qu’avec quatre années de Philharmonie de Berlin, un chef tel que Simon Rattle, et un bouquet de solistes phénoménaux, l’effort a été colossal - s’est achevé sur une impression de splendeur mitigée. Chacun se disant que chaque acte pourrait durer une heure de plus sans dommage, par la magie de la stupéfiante force de séduction de Wagner et de ses interprètes, mais que pourtant aucune image scénique n’allait vraiment s’incruster dans la mémoire.

Dire que Stéphane Braunschweig, metteur en scène de l’entreprise, est la finesse même est une banalité. Cet homme de théâtre est un profond prospecteur de l’âme humaine et de ses tourments. Et ses personnages ne cèdent jamais à l’emphase ou à la gestique systématique qui sont les dangers d’une mise en scène trop wagnérienne dans ses hyperboles. On a ainsi particulièrement apprécié l’accent mis sur la complexité de Hagen, personnage déroutant et prenant dans sa lourdeur de maudit, porteur d’une vengeance qui n’est pas la sienne, celle d’un père exécré et subi. Et on est resté médusé devant la finesse et la stature, même dans l’immobilité, du russe Mikhail Petrenko, qui l’incarne d’une voix moins noire que les figures mythiques des basses profondes traditionnellement attachées à ce personnage. On approche ici de la souffrance de Iago, incapable de ressentir de la joie, ou même du martyre d’Amfortas, cloué sur sa croix par le poids du péché. Mais pour Hagen, pas d’espoir de rémission. Le nœud de l’action s’en trouve basculé au profit de ce personnage qui n’a rien d’héroïque. A lui revient pourtant de pousser l’appel le plus spectaculaire et le plus étreignant des trois actes, lorsqu’il convoque les Gibichungen pour accueillir la Walkyrie, dressé sur un fauteuil, lance à la main. Il s’y montre écrasant.

Malheureusement, si tout est marqué par la même profondeur psychologique, l’ensemble reste visuellement dans une épure qui n’a ni la force de ses convictions, ni l’esthétisme d’un graphisme plus élaboré. Passons sur quelques fantaisies gratuites, comme l’apparition de joueurs de polo chez les Gibichungen, ou l’abus du blanc, poncif simpliste, acceptons ou refusons que Siegfried soit présenté comme un nigaud plus que pataud, et retenons quelques belles plages de couleur dans les changements de tableaux. Elles créent certes de furtives émotions, mais aucune vision saisissante des dimensions symboliques de l’œuvre ne s’en dégage. Car Si Wagner est humanité, et c’est la part que Braunschweig y a privilégiée, il est aussi héroïque, voire cosmique, et mérite de changer de nébuleuse lorsque s’achève sa monumentale saga. Le difficile étant de faire peser également sur la balance ces deux composantes contradictoires.

Reste la multiple splendeur d’une interprétation qui a laissé le public ébloui, et notamment la bouleversante Brünnhilde de Katarina Dalayman, plus femme que déesse, plus charnelle que mythique, mais aussi capable d’une prodigieuse vaillance. On se réjouit ô combien de la retrouver dans ce rôle à l’Opéra de Paris la saison prochaine. Seul point faible dans la distribution féminine, l’apparition inopportune en Waltraute d’Anne Sofie von Otter, dont la faiblesse vocale est cruelle aux côtés des géantes que sont Katarina Dalayman, la Gutrune d’Emma Vetter et les Nornes de Maria Radner, Lilli Paasikivi et Miranda Keys. Si sa polyvalence et sa curiosité sont à son honneur, elle trouve aussi ses limites dans ce terrain wagnérien, qui n’est décidément pas le sien.

On a dit tout le bien qu’il fallait penser de Mikhail Petrenko, fascinant et ductile Hagen à la diction claire, auquel le public a réservé un triomphe. Et on ne se lasse pas de la tendresse héroïque de Ben Heppner, peu aidé par la mise en scène mais heureusement soutenu par la souple baguette de Rattle, qui encadre et met les chanteurs en valeur comme aucun autre chef. Car s’il est un Walhalla aixois, c’est bien dans la somptuosité de la Philharmonie berlinoise qu’on le trouve en premier : elle noie toute résistance par le caractère irréductible de sa marche. Et tout en haut pour guider, enflammer ses musiciens, la performance inouïe de Simon Rattle, lequel ne se prive d’aucun ralenti, tant son bonheur d’être enfoui dans cet océan sonore est extrême. Il atteint aussi bien à la douceur la plus étreignante qu’au paroxysme dramatique le plus germanique. Lui sait assumer les deux faces de Wagner, et cela ne surprend guère.

Jacqueline Thuilleux

Wagner : Le Crépuscule des Dieux – Festival d’Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, le 3 juillet 2009, puis les les 9 et 12 juillet (à 17h30). Acte III retransmis en direct, le 9 juillet, sur France 3 (à 23h 10). Retransmission complète en différé sur Mezzo, le 11 juillet (à 20h)

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Photo : E. Carecchio/Festival d’Aix-en-Provence
 

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