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Compte-rendu - Le Couronnement de Poppée à Bordeaux - Carsen exalte l'éternité de Monteverdi


Sexe et pouvoir mènent toujours le monde. En tout cas, depuis Monteverdi. C'est ce que nous dit la production de son testament lyrique Le Couronnement de Poppée signée Robert Carsen, qui s'arrête au Grand Théâtre de Bordeaux après le Festival de Glyndebourne dans la campagne anglaise et avant l'Opéra de Vienne. La vision du metteur en scène canadien dominée par le rouge carmin des rideaux qui tombent des cintres avant de s'étaler sur le sol comme une mare de sang, démontre avec une rudesse toute shakespearienne que la barbarie destructrice et l'intelligence constructive restent les moteurs de l'action humaine quelle que soit l'apparence de progrès technique. Aussi bien Néron s'affiche-t-il en complet veston révolver au poing, Sénèque en négligé philosophique, les serviteurs en énarques, Poppée et Octavie en robe du soir : la cour du Bas Empire transposée dans l'univers impitoyable de la haute finance...

Mais avec Carsen comme avec Monteverdi, l'humour suit toujours le tragique comme un antidote. Ainsi, lorsque la nourrice de la prostituée promue, ne se sentant plus devant la réussite outrageante de sa protégée, se prend à ne plus avoir le triomphe modeste, Carsen l'habille en grande dame jusqu'à ce que le bibi ridicule et le sac à main carré viennent parfaire le portrait de... sa Majesté Elisabeth II ! On sourit aussi lorsque les protagonistes étalent sur le fameux rideau rouge le contenu d'un panier à pique-nique so british que les moutons de Glyndebourne en font encore des gorges chaudes. Si Sénèque s'ouvre les veines dans son bain, la scène d'après, Néron rejoint tout habillé son ami le poète Lucain dans la même baignoire où il le trucide : ce mec est fou ! Mais l'histoire nous avait prévenus. C'est à peine une entorse à la réalité.

Si la scénographie reste identique d'un théâtre à l'autre, la réalisation musicale varie d'une ville à l'autre en fonction du chef. A Glyndebourne, la Française Elisabeth Haïm avait convoqué l'Orchestre des Lumières ; à Bordeaux, l'Italien Rinaldo Alessandrini a raréfié l'oxygène musical en réunissant cinq membres de son Concerto Italiano et cinq Bordelais. Le sublime écrin sonore qu'est le théâtre de Victor Louis le permet : on n'y perd rien des deux théorbes, ni de la harpe dévorés d'ordinaire dans les grandes salles. Ils ont leur juste place face aux voix où l'on ne manquera pas de remarquer celle faite aux jeunes chanteurs français, du mezzo pulpeux de la Poppée de Karine Deshayes aux graves insondables et colorés du Sénèque de Jérôme Varnier en passant par la pétillante Drusilla de Jaël Azzaretti.

Leurs compatriotes Ingrid Perruche, Fortuna, Julie Pasturaud, Virtu, Jean Paul Fouchécourt, impayable Arnalata, complètent notamment la distribution. Mais il faut également citer le craquant Amour de la soprano géorgienne Khatouna Gadella, l'Otton passionné du contre-ténor viennois Max Emmanuel Cencic, l'Octavie douloureuse de l'Italienne Roberta Ivernizzi et surtout l'impressionnant Néron du ténor anglais Jeremy Ovenden. Un spectacle captivant de bout en bout. Comme hors du temps.

Jacques Doucelin

Monteverdi : Le Couronnement de Poppée - Grand Théâtre de Bordeaux, 14 juin 2009, dernière représentation mercredi 17 juin

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Photo : DR/Opéra de Bordeaux

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