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Compte-rendu : Festival Manca de Nice - Vertiges franco-russes


Un festival est avant tout un lieu de découvertes et de transmission. En cela, le week-end de clôture du festival Manca, organisé par le CIRM, centre national de création musicale de Nice, a été exemplaire. S'appuyant sur la dynamique institutionnelle de l'année croisée France-Russie, le festival s'en est emparé pour faire découvrir tout un pan de la scène musicale contemporaine russe –compositeurs comme interprètes.

Réunis lors d'un « atelier », les jeunes Alex Nadzharov (né en 1983) et Nikolay Khrust (né en 1982) ont bénéficié en 2010 d'une résidence auprès de quatre centres nationaux de création musicale (Césaré à Reims, La Muse en Circuit à Alfortville, le Grame à Lyon et le Cirm à Nice). Leurs propositions – pour chacun une oeuvre de dix à quinze minutes – montrent une utilisation souple et ludique de l'électronique musicale, entre sons enregistrés et traitement en temps réel. Cependant, c'est davantage l'écriture instrumentale qui séduit, marquée par une énergie explosive pour (Re)current d' Alex Nadzharov – déjà présenté à Paris en mai lors du festival « Extension » de La Muse en Circuit – et par une exploitation intelligente du souffle et des sons instrumentaux périphériques (bruits de clés de la flûte notamment) dans Fluting Point de Nikolay Khrust, une œuvre qui, de plus, parvient à tenir sans faiblesse dans la durée.

Les quatre solistes de ce concert retrouvaient le lendemain leur place au sein du Studio for New Music Ensemble de Moscou. Sous la direction de leur chef Igor Dronov, les musiciens de cette jeune formation (fondée ne 1993) ont défendu avec engagement un programme d'œuvres russes pour ensemble des deux dernières décennies. Parmi elles, une création faisait appel à l’électronique : Parataxe d’Igor Kefalidis (né en 1941), dont la trame est constituée de bribes de mots préenregistrés appelés à progressivement occuper l’espace sonore. L’autre œuvre nouvelle, X.II (Chagall’s Clock) d’Olga Bochkkhina, en première française, montre une écriture raffinée, précise, où le geste instrumental façonne le son en même temps qu’il crée sur scène une théâtralité infime. Virtuose à tous les pupitres (le violoniste Stanislav Malishev était la veille un soliste convaincant dans le Concerto de Ligeti), l’ensemble s’est monté étincelant dans l’Hommage à Honegger (2005) deYouri Kasparov, sorte de « remix » constructiviste de Pacific 231, comme dans Cassandra (1991) de Vladimir Tarnopolski, belle construction orchestrale dont les puissants élans rythmiques conviennent à merveille à la direction ample d’Igor Dronov, ou plus encore dans la superbe Symphonie de chambre n°2 d’Edison Denisov (1929-1996).

Dès la veille, par la conduite limpide de l’œuvre étonnante et forte qu’est Peinture (1970), on avait pu entendre l’affinité profonde du chef avec ce compositeur francophile, hélas, trop peu joué aujourd’hui. Cet unique programme symphonique du festival Manca, accueilli par l’Opéra, culminait avec la création de Voyage par-delà les fleuves et les monts d’Hugues Dufourt (né en 1943). Comme nombre des œuvres les plus importantes du compositeur, cette page pour grand orchestre d’un seul tenant, longue de vingt-cinq minutes, emprunte son titre à une œuvre picturale, en l’occurrence une peinture sur soie de Fan K’uan (xie siècle). Œuvre fascinante, ce nouvel opus orchestral d’Hugues Dufourt pousse plus loin encore une démarche radicale qui s’affranchit de toute une tradition mélodique et rythmique pour offrir une musique sans césure, incessante succession de climats que rien ne vient délimiter nettement, où ce qui semblait contour devient la matière même. Radicale et vertigineuse, Voyage par-delà les fleuves et les monts est peut-être pour cela la plus accessible des œuvres du compositeur. Guidé par l’interprétation parfaite d’Igor Dronov et de l’Orchestre philharmonique de Nice, le public – très attentif – semble s’être laissé littéralement envoûter.

Jean-Guillaume Lebrun

Nice, Festival Manca, 20 et 21 novembre 2010

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