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Compte-rendu - Festival et Concours de Bucarest - Dans les pas de Georges Enesco


Directeur du Festival International George Enesco, Ioan Holender, qui préside pour un an encore aux destinées de l’Opéra de Vienne, a incontestablement marqué de son sceau une manifestation où les solistes (Argerich, Tetzlaff, Bell, Schiff, Pires, Maisky, Freire, Perahia, Leonskaja, Lugansky, Laforêt…), les orchestres prestigieux (Amsterdam, Philharmonia, St-Petersbourg, Orchestre de la Radio Bavaroise, Suisse Romande, Mai Florentin, Philharmonique de Radio France, Capitole de Toulouse…) et les meilleurs musiciens roumains (le pianiste Dan Grigore, les chefs Adrian Petrescu et Horia Andreescu) se succèdent à un rythme soutenu durant plus de trois semaines.

En ouverture, l’hommage rendu à George Enesco débute par la représentation de l’opéra Œdipe (une mise en scène de Nicolas Joel, déjà vue à Toulouse) dont le rôle-titre est tenu (le 2/09) non par Franck Ferrari, mais par le remarquable Stefan Ignat (photo). La direction fluide d’Oleg Caetani à la tête de l’Orchestre de l’Opéra National, la bonne tenue d’ensemble des voix, la discipline des chœurs préparés par l’expérimenté Stelian Olariu, l’emportent malgré tout sur la difficulté qu’éprouvent les interprètes à prononcer le français.

L’Otello de Verdi dirigé (le 5/09) avec flamme mais souvent brutalement par le chef espagnol Miguel Gomez-Martinez et l’Orchestre de l’Opéra National Roumain, pâtit de la prestation du ténor américain Vladimir Popean, très fatigué vocalement, dans une mise en scène et des décors peu convaincants. En Desdémone, Carmen Gurban souffre d’aigus instables, mais se rachète toutefois dans une scène finale pleine d’émotion. Alberto Gazale s’impose avec autorité dans le rôle de Iago, sans pour autant sauver le spectacle.

La musique contemporaine, largement représentée tout au long du festival, permet de constater combien les formations roumaines s’adaptent avec facilité à ce répertoire. Les trois concerts-fleuves du 3 septembre, dans la superbe salle historique de l’Atheneum construite en 1888 par un architecte français, témoignent du dynamisme de la vie musicale roumaine. Le traditionnel et un brin académique Concerto pour violon de Theodor Grigoriu se confronte au Concerto pour saxophone et orchestre de Calin Ioachimescu joué avec une maestria ébouriffante par Daniel Kientzy, soufflant parfois dans deux instruments à la fois en donnant l’impression d’une improvisation permanente.

L’Orchestre Philharmonique de Transylvanie fait montre dans le néo-bartokien Concerto pour deux orchestres à cordes de Sigismund Toduta d’une séduisante subtilité d’archet tandis que, dans Ielele de Doina Rotaru, l’Ansamblul « Profil » impressionne par son aptitude à créer des atmosphères nocturnes.

Les Vêpres op 37 de Rachmaninov chantées le soir même dans une mise en espace digne d’une liturgie orthodoxe sous la direction de Dan Mihai Goia, malgré l’enthousiasme du chef des Chœurs Académiques de la Radio, ne procurent pas toute l’émotion que l’on attend de cette partition monumentale d’une magnificence à couper le souffle.

Le matin du 5 septembre, Salle du Conservatoire, dans le cadre de la série « Enesco et ses contemporains », la violoncelliste belge Marie Hallynck et le pianiste Cédric Tiberghien, proposent un programme d’une grande densité (Sonate de Debussy, Sonate n°2 op 26 d’Enesco et Sonate op 65 de Britten) et rivalisent d’imagination et de liberté avec une connivence entretenue depuis de nombreuses années. Le lendemain, dans le même lieu, le pianiste suédois Fredrik Ullen aborde avec une technique infaillible le IXe Klavierstück de Stockhausen aussi bien que deux Etudes de Ligeti, Cantéyodjayâ de Messiaen ou Evryali de Xenakis. La distance volontaire qu’il impose à la Sonate n°3 de Scriabine et à la Sonate n°3 d’Enesco peut sembler de la froideur, mais la construction des œuvres apparaît toujours d’une grande lisibilité.

En miroir du Festival, le Concours de piano George Enesco, organisé du 30 août au 6 septembre, remporté par le Kazakh Amir Tebenikhin (32 ans) aux doigts d’acier dans le 3ème Concerto de Rachmaninov, écrase de sa puissance la Russe Violetta Khachikyan (27 ans) et surtout le Sud-Coréen Jong-Do An (23 ans) bien plus délicat dans le Concerto n°4 de Beethoven.

Le Russe Ilya Rashkovskiy (Second Grand Prix du Concours Long-Thibaud en 2001) empoche quant à lui en demi-finale le Prix Enesco pour l’interprétation de la Sonate n°1 du compositeur roumain. Les épreuves de violon qui couronnent le Polonais Jaroslaw Nadrzycki (25 ans), impeccable de style dans le Concerto de Sibelius, ont pourtant prouvé les mérites de la prometteuse Sud-Coréenne A-Rah Shin (26 ans) et, dans une moindre mesure, de la Russe Nadezda Palitsyna (26 ans), toutes deux interprètes du Concerto en ré majeur de Brahms sous la direction sûre de Ilarion Ionescu-Galati, aux commandes de la Philharmonie d’Etat de Iasi.

Lors du gala organisé à la suite des épreuves, outre les candidats victorieux, l’attention a été attirée par l’exécution de la partition aux connotations varésiennes de l’excellent compositeur chinois Hu Xiao-Ou, vainqueur en 2007 du Concours de composition.
La surprise vient aussi de la présence assidue du jeune Ministre de la Culture francophile et francophone Theodor Paleologu qui manifeste ainsi son grand intérêt pour la musique en général et pour un 19ème Festival George Enesco placé sous les meilleurs auspices.

Michel Le Naour

Festival et Concours International George Enesco, Bucarest, du 2 au 6 septembre 2009

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Photo : DR

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