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Compte-rendu : Festival de Sablé - Diversité oblige

Foisonnement festivalier en cette fin d’été 2010 où Sablé prenait le relais des Rencontres de Vézelay et de Sinfonia en Périgord. Trente-deux ans d’existence, c’est à l’évidence un gage de santé pour l’entreprise chère à Jean-Bernard Meunier. Aussi bien, dans le concert hexagonal, Sablé s’impose comme un repère majeur, faisant presque jeu égal avec ces chefs de file que sont ici Ambronay et Beaune.

Contraint par un calendrier impitoyable, je n’ai pu être sabolien, cette année, qu’une journée. Le temps, tout de même, d’engranger trois concerts (dont deux captivants), outre le traditionnel épilogue sur le pré, demandé à l’ensemble italien Neapolis, stratège et médecin de la Tarentule du Mezzogiorno, cette araignée dont la piqûre pouvait être fatale, selon la croyance populaire, mais qu’exorcisait la danse fameuse de la Tarentelle, préconisée comme antidote (Antitotum Tarantulæ) par le savant jésuite allemand Athanase Kircher, fixé à Rome au cœur du Seicento.

Première bonne surprise : la découverte du très précieux talent de claveciniste du Brésilien Nicolau de Figuereido en l’église de Chantenay-Villedieu, riche d’une acoustique exceptionnelle (rappelons le principe itinérant du Festival qui nomadise d’une église de village à l’autre, totalisant, cette saison, 14 manifestations en quatre jours et demi !). Disciple de Gustav Leonhardt, entre autres, Figueiredo a reçu, avec l’inspiration, le don du feeling joint à un juste sens de l’expressivité et de la mesure.

Avant tout, il est chez lui dans Domenico Scarlatti : une proximité qui ne surprend pas, tant il a su s’approprier le message et les volte-face digitales du génial Napolitain de Lisbonne et Madrid (capitales où il avait suivi son élève l’Infante Maria Barbara de Portugal, devenue peu après reine d’Espagne, de par son mariage avec le futur Ferdinand VI). En tout cas, butinant dans l’univers de ce génial précurseur, à plus d’un égard, de Chopin et du XIXème siècle à venir (en témoignent ses 555 sonates qui réclament toutes, sans qu’il y paraisse, comme une liberté nouvelle pour l’instrument à sautereaux), Figuereido s’y montre digne des très grands ; de Scott Ross, plus précisément, dont il fut également l’élève. Sous la concision du propos, un très grand moment de musique, assurément.

Suivait l’ardent collectif des Incogniti (église de Brûlon) où, à chaque pupitre, s’active ou rêve un virtuose et un poète. Les intuitions du premier violon Amandine Beyer y sont déterminantes, à commencer par le concerto vivaldien dont elle sait rendre tout le pouvoir d’évocation au gré d’un flot de couleurs et d’images parlantes qui renvoient, bien sûr, à la loi d’immitatione, ce moteur majeur de l’émotion baroque.

En fait, dans la proximité du Prêtre Roux, c’est le Trentin Francesco Antonio Bonporti (1672-1749) que notre Atelier des Incogniti rendait à une vie nouvelle, l’arrachant du même coup au triste cortège des talents oubliés ou occultés. Car Bonporti, « nobile dilettante » qui, sans renoncer à sa carrière de musicien, rejoignit l’ordre des Jésuites à Rome (ville où il a sans doute rencontré Corelli), fut tout le contraire d’un « petit maître ». En tout cas, unis par l’évident plaisir de faire de la musique ensemble, Gli Incogniti ont su faire de ce concert plus qu’une exhumation : un portrait toujours en phase avec son modèle (rappelons aussi que Bonporti fut apprécié de son vivant dans l’Europe entière, ce dont témoignent encore les copies manuscrites laissées par Bach de telle ou telle page de sa production).

Et le soprano ailé de Raquel Andueza – un modèle de versatilité belcantiste – ajoutait, dans les pièces vocales (Motteti per il Signore e per la Madonna), au bonheur de la redécouverte. Un bonheur dont l’ultime concert de la journée était plus avare ; non pas tant dans le choix du thème qui proposait sous le titre « les rivales des castrats », comme une vitrine bienvenue des prime donne à la mode (Diana Vico, Angela Zanucchi, Anna Dotti) au temps de l’opéra vivaldien, que dans les exigences du chant soliste où le contralto de Nathalie Stutzmann – instigatrice du projet et chef inattaquable de l’ensemble Orfeo 55 – n’était pas exempt de problèmes liés à sa technique vocale. Mais chacun(e) sait depuis toujours que rien n’est parfait en ce bas-monde.

Roger Tellart

Festival de Sablé, 28 août 2010

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Photo : DR
 

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