Journal

Compte-rendu : Esa-Pekka Salonen dirige Wozzeck - Inoubliable soirée !

Hasard ou pied de nez de Dominique Meyer à Nicolas Joël, Wozzeck était à l’affiche du TCE, en version semi-concertante quelques jours après les représentations données à l’Opéra Bastille, les chanteurs libérés de leurs pupitres évoluant simplement dans un espace réduit.

Au trio Le Texier-Meier-Haenchen succédait celui formé par Simon Keenlyside, Katarina Dalayman et Esa-Pekka Salonen. A ceux qui auraient pu douter de la gageure, cette partition n’étant pas de celles que l’on écoute en dehors d’une salle de spectacle, le chef finlandais a apporté une réponse sans appel, le chef-d’œuvre de Berg résistant à l’absence de décors et de scénographie.

La présence de Salonen à la tête d’un Philharmonia Orchestra rutilant, était un atout majeur, tant le chef semblait évoluer dès les premiers accords sur ses terres, restituant avec une clarté sidérante le mystère organique de cette musique aride, la respirant avec une évidence supérieure, comme si elle lui appartenait. Célèbre pour ses lectures analytiques et profondément inspirées, Salonen a su mettre en valeur avec une incroyable sûreté, la complexe architecture des formes et des idées musicales, insuffler au drame sa puissance lancinante par une rythmique implacable et des couleurs instrumentales extrêmement tranchées qui ont accompagné avec une brûlante intensité le cauchemar mécanique et impitoyable vécu par le pauvre soldat.

Sa direction limpide et ciselée jusque dans les plus infimes dissonances, a privilégié de subtils alliages de timbres et permis d’entrer de plain-pied au coeur de la partition, chaque scène étant reliée par d’impressionnants interludes orchestraux où s’exprimaient, selon une gradation savamment dosée, toute la douleur physique et mentale éprouvée par le héros. Après le vertigineux magnétisme de son Tristan und Isolde, Salonen a confirmé son génie musical dans une œuvre que l’on croyait connaître et qu’il a transcendée.

Criant de vérité, le baryton britannique Simon Keenlyside campait à nouveau un Wozzeck hagard et halluciné (sa performance dans le spectacle de Christoph Marthaler avait déjà saisi en 2008 à la Bastille), fragile silhouette légèrement courbée, dont les poings serrés et le regard baissé suffisaient à dépeindre les ravages de la folie. La voix souple et ambrée, ample et éruptive s’est pliée avec facilité aux épreuves de cette partition éprouvante, l’interprète au sommet de son art exprimant chaque nuance avec une gamme d’inflexions infinie, du « Ach Marie » susurré au cri de bête traquée. Face à cet être en perdition, victime d’une société brutale et oppressante, répondait la Marie vocalement solide, mais au profil un peu trop lisse de Katarina Dalayman - reproche qui lui avait déjà été fait en 1999 dans la mise en scène de Pierre Strosser à la Bastille, où elle avait pour partenaire Jean-Philippe Lafont –, qui ne peut faire oublier le tempérament volcanique et suicidaire de Waltraud Meier, Marie de référence, que l’on aurait tant aimé voir appariée à Keenlyside.

Peter Hoare, Capitaine grinçant, Hans-Peter Scheidegger, Docteur maléfique, Robert Murray Andres équivoque et Hubert Francis, terrifiant Tambour-Major venaient compléter cette distribution de très haut niveau, qui restera dans nos mémoires.

François Lesueur

Alban Berg : Wozzeck (version de concert) – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, lundi 12 octobre 2009

Programme du Théâtre des Champs-Elysées

Lire les autres articles de François Lesueur

Photo : DR
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles