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Compte-rendu : Danse/Orpheus de John Neumeier à l’Opéra de Hambourg - L’histoire sans fin

Une histoire mystérieuse, qui plonge le spectateur dans des zones d’ombre angoissantes. John Neumeier quitte à peine la nébuleuse du Pavillon d’Armide, pour lequel il avait créé en juillet dernier, en souvenir du premier ballet donné par les Ballets Russes à Paris, une évocation aux multiples strates où se vivait, sur le fond vaporeux des souvenirs, la mise en abyme du Dieu de la danse, Nijinsky. Et le voici affrontant cette fois le Dieu de la musique, Orphée, pour une autre descente aux Enfers dont on sort dans les limbes ! Dans ce voyage initiatique qui conduit vers la plus terrible solitude de l’homme et de l’artiste, Neumeier a joué cette fois sa carte moderniste. Son Orphée va passer de la sobriété plastique de l’Apollon Musagète de Stravinsky- pour lequel Balanchine signa un ballet demeuré comme une référence du répertoire néo-classique- à la finesse ambiguë de la musique de Biber, extraite de son cycle des Sonates du Rosaire, en passant par le gouffre brutal d’une musique pop signée Peter Blegvad et Andy Partridge, dans leur album Orpheus the Lowdown. L’enfer du bruit pour un musicien, voilà une chose à laquelle ni Monteverdi ni Gluck n’avaient pensé – et que le public assez traditionaliste de Hambourg n’a pas non plus apprécié - Naturellement, Orphée, qui, violon sur l’épaule, trille comme un diable, va adoucir les mœurs brutales de cette foule en proie à la bestialité la plus affirmée.

Plastiquement l’œuvre de Neumeier est une splendeur, dans l’équilibre des contrastes entre êtres ombreux, aux silhouettes profilées, et violence des bouges de Galveston – où souffla le terrible ouragan de 1900 -, peuplés de filles provocantes, ou dans l’amour fou des deux héros. Dans des lumières bleutées et froides que lui-même a conçues, on retrouve ses cadrages parfaits sur le fond d’un décor impitoyable, parois lisses comme l’oubli, qui s’entrouvrent en mâchoire pour avaler nos rêves. On y savoure aussi, à l’opposé de cette dureté, la fluidité des corps qu’il sait manipuler comme une mélodie, avec une Eurydice bouleversante de simplicité tendre et désolée. Une sorte de Giselle inversée, que le héros tente de faire renaître sans y parvenir cette fois. Le monde romantique était moins cruel… Il n’en demeure pas moins que le ballet, malgré les chocs qu’il ménage et ses instants de grâce suspendue, laisse perplexe, tant la complexité du propos superpose de plans. Une sorte d’étirement sans fin de la quête de l’autre, à laquelle le public n’adhère pas constamment, tandis qu’il s’enfonce dans l’inconscient du chorégraphe.

Quant à l’interprétation, il faut convenir qu’elle est inouïe, car, en Eurydice, la française Hélène Bouchet, issue de l’Ecole de Rosella Hightower avant de passer par celle de Hambourg, s’affirme comme l’une des plus subtiles ballerines européennes. L’exquise souplesse de ses bras amoureux, encore plus musicaux que le violon d’Orphée, la douceur frémissante de ses enveloppements font d’elle la plus belle courbe qui soit. Orphée, lui, c’est le beau Otto Bubenicek, encore imprégné de ses incarnations de Nijinsky, rôle qui l’habite totalement. Il est ici comme à l’ordinaire, intensément pénétré des pensées de Neumeier, qu’il traduit avec une puissance carrée, virile. Il y a d’autant plus de mérite que la genèse du ballet a connu un moment difficile, le rôle ayant été pensé aux mesures du superbe Roberto Bolle, star de la Scala de Milan, dont l’élégance classique aurait pu créer un sentiment d’étrangeté apollinienne au milieu de cette troupe rompue au style Neumeier. Gravement blessé peu de temps avant la première, Bolle a dû quitter la lyre pour l’hôpital, et John Neumeier adapter son personnage à la rigueur marmoréenne de Bubenicek. Le chorégraphe avait lui aussi perdu son Eurydice, il a heureusement retrouvé un Orphée à sa mesure…

Jacqueline Thuilleux

John Neumeier : Orpheus – Staatsoper Hamburg, le 6 décembre 2009 (création), reprise les 7, 15, 16, 21 janvier et 25 juin 2010. Infos : http://www.hamburgballett.de/

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Photo : Otto Bubenicek
 

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