Depuis un bon moment déjà le nom de Clément Lefebvre circule chez les mélomanes attentifs à la nouvelle génération. Des festival tels que La Roque d’Anthéron ou Piano en Valois-Angoulême ont invité le pianiste, tandis qu'en 2016 le Concours international James Mottram de Manchester l’a couronné d'un Premier Prix et – conjonction hautement significative – d'un Prix du Public.
Piano solo, musique de chambre (au sein de l’excellent Quatuor Abegg ou au côté du magnifique archet de Shuichi Okada), quatre mains et deux pianos (avec Alexandre Lory) : les occasions ont été nombreuses de juger du talent de ce musicien complet, sur lequel concertclassic a plus d’une fois attiré votre attention(1).

Couperin : Les Rozeaux (ext.)

Restait pour le jeune interprète à signer un premier enregistrement en solo (1) : c’est fait - et admirablement fait ! Nombreux sont ceux qui, pour leurs débuts en studio, auraient opté pour le grand répertoire, romantique ou début XXe siècle. Rameau et Couperin : le choix aura été tout autre pour Clément Lefebvre ; celui de la poésie pure. Pas de triche, point de feinte possible dans ces pages d’une absolue exigence. Et le résultat est là, proprement fabuleux. Quelle belle idée en pleine année Debussy qu'un retour aux sources de la musique de clavier française. De la musique de clavecin au piano ? Sans doute, mais le style est tel, l’ornementation à ce point dominée – car d’abord comprise et ressentie – que la question ne se pose plus, évacuée, pourrait-on dire, par une supérieure musicalité.

Couperin : Les Petits Moulins à vent (ext.)

Noble, éloquente, La Dauphine de Rameau ouvre le programme, avant de laisser place à l’« ordre imaginaire » que l’interprète a conçu en puisant dans plusieurs ordres (13^e, 15^e, 17^e, 22^e, 23^e & 26^e) de Couperin le Grand. Dix pièces au total : du Point du jour au Dodo, ou l’Amour au berceau, elle forment selon C. Lefebvre « un parcours expressif qui nous promène du réveil à l’endormissement, une galerie de tableaux faite d’évocations naturelles, de portraits de personnages et d’allégories ». D’un bout à l’autre de cette "journée" on est littéralement bluffé par la maîtrise du clavier – un CFX Yamaha parfait d’équilibre et de luminosité, jamais acide, et excellemment enregistré ! –, par le raffinement, et l’étendue de la palette sonore, la variété des couleurs, des teintes plutôt, mises au service des caractères.

A chaque morceau, l’interprète vise juste. On se sent aussi admiratif qu’ému face à la mélancolie et la profondeur de champ expressive avec lesquelles il joue, mieux, « peint » Les Rozeaux ou La Couperin, que séduit par la vie et le chic de L’Arlequine ou des Tricoteuses, l’humour coquin de L’Anguille et l’heureuse fluidité des Petits Moulins à vent. Quant aux fameuses Folies françoises, le renouvellement incessant de leur propos montre la variété d’attaque dont le pianiste est capable – quelle imagination, mais aussi, pardon pour le prosaïsme de la remarque dans un si poétique contexte, quelle technique !

© Jean-Baptiste Millot

Rameau : Suite en la (Allemande, ext.)

C. Lefebvre a fait son miel de l’enseignement de Roger Muraro au CNSMDP : ce récital Couperin/ Rameau est l’œuvre d’un maître coloriste, et s'avère tout aussi réussi pour ce qui concerne la Suite en la de Rameau qui le conclut. Dès l’Allemande initiale, pétrie de lyrisme, jusqu’à la Gavotte et ses Doubles, brillante quoique jamais hors sujet, on croque avec délice dans cette interprétation comme dans un fruit goûteux (écoutez seulement la merveilleuse chorégraphie sonore des Trois Mains ou la solaire explosion de La Triomphante...).

Rameau : Suite en la (Gavotte et ses Doubles)
 
Coup de maître, vraiment, que ce premier disque, à classer haut, très haut, dans la discographie. Inutile ajouter qu’on attend avec impatience le récital Couperin, Debussy, Rameau et Mendelssohn que Clément Lefebvre réserve au public du Festival de la Roque d’Anthéron ce 16 août au Parc du Château de Florans. Si vous ne pouvez y assister, les occasions ne manqueront pas ensuite : à Lunel Viel (24/08), Lens (30/09), Guebwiller (7/10, à deux pianos avec A. Lory), Berlin (17/10, avec Bumjun Kim, violoncelle) et Tourcoing (7/12).
 
Alain Cochard

(1) www.concertclassic.com/article/clement-lefebvre-et-le-quatuor-abegg-aux-pianissimes-le-peps-et-la-tendresse-compte-rendu
 
www.concertclassic.com/article/clement-lefebvre-et-alexandre-lory-en-duo-dans-la-serie-prelude-de-lorchestre-de-paris-1-1-1
 
www.concertclassic.com/article/fin-de-saison-du-centre-de-musique-de-chambre-de-paris-la-salle-cortot-decouvertes-et
 
(2) 1 CD Evidence/EVCD 052
 
Récital de Clément Lefebvre au Festival de la Roque d’Anthéron
Œuvres de Couperin, Debussy, Rameau et Mendelssohn
16 août 2018 – 18h
Parc du Château de Florans
www.festival-piano.com/fr/programme/artistes/clement-lefebvre.html
 
Calendrier des concerts de Clément Lefevbre : clementlefebvrepianiste.com/concerts/