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Cindy Castillo et Pierre Slinckx à l’orgue de Radio-France – 100% belge – Compte-rendu

 

On ne se souvient pas, si ce n'est pour l'inauguration du Grenzing en mai 2016, avoir jamais vu autant de monde à un concert d'orgue de Radio France. Parce que ce concert avait lieu un samedi soir, au lieu du mardi traditionnellement dévolu à la Saison d'orgue ? On peut aussi imaginer, car cela s'entendait, que tous les Belges amateurs d'orgue de la capitale s'étaient donné rendez-vous : Bach sous les deux espèces, au naturel et transcrit, entourait trois époques de l'orgue belge ou issu de l'actuelle Belgique. Formée à Bruxelles et Namur (où elle enseigne), Paris et Strasbourg, titulaire de l'orgue Loncke de l'immense basilique Art déco du Sacré-Cœur de Bruxelles (« basilique de Koekelberg » – antithèse acoustique de l'Auditorium !), Cindy Castillo (photo), avec une spontanéité, une vivacité et un enjouement souvent étrangers aux musiciens français (on pense aussi au Québec), présentait au fur et à mesure de la soirée les pièces et leur raison d'être dans ce programme parfaitement équilibré, introduit tel un dialogue commun de l'interprète et du public avec le Grenzing.
 
Sa célébrité l'a presque fait disparaître des programmes : qu'elle soit de Bach ou pas, la Toccata et fugue en mineur BWV 565 reste une absolue et très originale merveille, mais aussi un défi dans une acoustique sèche. Cindy Castillo le releva avec faconde et souplesse, ménageant les effets de surprise induits par les silences via une agogique sensible, jamais forcée mais ardente, et une projection légère et acérée des timbres, sans recherche d'illusion « baroque ». Toute musique sonne sur le Grenzing si l'on écoute l'instrument et non l'idée préconçue et plus ou moins transposable que l'on se fait de chaque œuvre.
 
Première des étapes belges du concert : Prière de César Franck, que Cindy Castillo a enregistrée pour Musique en Wallonie. Grand moment de concentration et de lyrisme, de densité et d'imposante sobriété : un Franck puissamment humain, d'une élévation et d'une intensité portées par une palette orchestrale judicieusement évaluée. Après quoi la gradation de l'utilisation dynamique du Grenzing trouva son apogée dans l'introduction, saisissante de modernité stylistique, de la Sonata Eroica op. 94 (1930) de Joseph Jongen, composée et créée pour l'inauguration de l'orgue du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Un monument d'exaltation et de rigoureuse exigence en termes d'écriture : si la forme évoque Liszt et Reubke (aux variations font suite un fugato et un final grandiose), l'esthétique n'a rien à envier au meilleur de l'entre-deux-guerres. Un tour de force virtuose et poétique très valorisant pour l'interprète, dont toutes les facettes sont idéalement stimulées, et d'un impact immédiat sur le public, ainsi que la diffusion ultérieure sur France Musique devrait le confirmer.
 

Pierre Slinckx © Danny Willems
 
La troisième étape belge fut la création d'une commande de Radio France, comme de coutume lors des concerts d'orgue de la Maison. C'est à Pierre Slinckx, qui collabore de longue date avec la musicienne, que cette œuvre fut demandée : C#3 pour orgue à quatre mains – Cindy Castillo et le compositeur. Une autre forme de défi, dans la mesure où depuis longtemps Pierre Slinckx n'avait plus composé pour un instrument purement acoustique, mais toujours dans son rapport avec l'électronique – il s'en explique dans le programme de salle. Pierre Slinckx n'aime guère que l'on pose des mots sur sa musique, les sens seuls devant en guider l'appréciation – en l'occurrence un univers onirique haut en couleur, très changeante et source de lumière, vibrant et tonique, à travers notamment un recours paradoxal à de longues et scintillantes « tenues mouvantes ». Une expérience sensorielle, dont la création fusionnelle fut superbement accordée à tout ce que le Grenzing peut offrir.
 
Cindy Castillo fit entendre pour finir une vraie rareté : Mattheus-Final, pièce terminale du Bach's Memento de Widor (1925), soit la transcription du Chœur qui referme la Passion selon saint Matthieu de Bach, ultime occasion d'entendre l'instrument briller de mille feux, avant une juste ovation pour l'interprète – et pas de bis, qui n'aurait pu que rompre un si bel et chaleureux équilibre.
 
Michel Roubinet
 

 Paris, Auditorium de Radio France, 28 janvier 2023
www.maisondelaradioetdelamusique.fr/evenement/concert-dorgue/bach-toccata-et-fugue-en-re-mineur-cindy-castillo

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