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Christophe Rousset et Vladimir Ashkenazy au 3ème Festival de Pâques d’Aix-en-Provence – Du baroque au romantisme, deux maîtres – Compte-rendu

 
Un vrai jeu d’équilibriste pour Renaud Capuçon, qui a dû faire face à plusieurs annulations pour son Festival de Pâques, de Martha Argerich à Maria Joao Pires avec Augustin Dumay et  Krystian Zimerman. Christophe Rousset et Vladimir Ashkenazy, eux, étaient bien là, et ont inscrit dans les annales du jeune Festival deux grands concerts.
 

de g. à dr. : Hélène Le Corre, Hasnaa Bennani, Christophe Rousset et François Joubert-Caillet © Caroline Doutre
 
Extrême finesse et grâce des courbes en la cathédrale Saint-Sauveur d’abord, où Rousset, avec une très petite formation - quatre interprètes seulement - a fait s’enchaîner quelques extraits de Leçons de Ténèbres de Charpentier (H 103, H 117, H 115 et H 112) suivies de trois autres extraits de Couperin, choisis dans les Leçons pour le Mercredi Saint. La confrontation était passionnante, l’écoute d’une égale beauté. Rousset, face à son orgue-clavecin (avec à son côté le gambiste François Joubert-Caillet), dirigeait les voix d’Hélène Le Corre, dont on a souvent apprécié l’élégance aérienne et d’Hasnaa Bennani, au velouté, à la puissance émotionnelle, presque incantatoire, si subtiles qu’on en oubliait sa diction floue.
Dans ces épisodes d’affliction si essentiels à la célébration de la Semaine Sainte baroque, les deux compositeurs français jouent d’une ornementation riche et fine qui ne nuit pas à la force  expressive de ces déplorations. Avec une palette pour l’entrelacement des deux voix qui tient des plus fines aquarelles. Et une émotion sensuelle qui, pour douloureux que soit le propos, dit combien l’époque baroque a célébré la chair, même percée des flèches mystiques.
 

Francesco Piemontesi © www.francescopiemontesi.com
 
Superbe santé et franche jeunesse ensuite, que celle des musiciens de l’European Union Youth Orchestra, du pianiste Francesco Piemontesi, et du plus jeune d’entre eux, Vladimir Ashkenazy (photo), 78 ans, à la baguette. Ouvert sur la Symphonie n°49 de Haydn dont le chef a fait ressortir l’étrange mélancolie romantique, proche de Schubert, le concert s’est épanoui grâce au talent de Francesco Pietemontesi, l’un de ces jeunes interprètes que Renaud Capuçon a l’art de mettre en vedette. Il a certes pu remporter le 3ème Prix du Concours Reine Elisabeth en 2007, et autres distinctions flatteuses, il n’en pourrait pas moins stagner parmi la multitude de virtuoses du clavier qu’on oublie aussitôt après s’être enthousiasmé. Piemontesi, lui vise au cœur du langage beethovénien – le 4e Concerto – en respectant les lignes lumineuses d’un académisme épuré, et en dosant élégamment les nuances, les infimes variations de tempi, les reprises sans brutalité, avec un art qui a témoigné d’une vraie pensée, autant que de doigts légers, avec des sons comme ourlés. Il va à l’essentiel.
 

Vladimir Ashkenazy et le European Union Youth Orchestra @ Caroline Doutre
 
Mendelssohn, enfin, pour l’oxygène, la gaieté, la force rythmique, l’inépuisable richesse mélodique qui font de sa Symphonie « Italienne » un joyau vitaminé. Ashkenazy, à la tête de ses jeunes gens aux sonorités un peu vertes, a choisi de la dérouler sur le mode conquérant plus que bondissant, ce qui convenait mieux à leur énergie encore brute. L’œuvre en a tiré une autre force, un autre ton, et le maestro a communiqué son plaisir jubilatoire à un public conquis.

Jacqueline Thuilleux
 
Aix, Cathédrale Saint Sauveur, Grand Théâtre de Provence, 7 avril 2015.
 
Photo Vladimir Ashkenazy © Jim Steere / Decca

Photo © Caroline Doutre

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