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Casse-Noisette Compagnie de Jean-Christophe Maillot, par les Ballets de Monte Carlo – Jouissif jeu de piste – Compte-rendu

On l’a souvent constaté, Maillot est un formidable conteur, et un facétieux brouilleur de pistes. De son enfance vécue dans les coulisses des théâtres, et même des caméras, il a gardé chevillé au cœur et au corps l’amour des contes, le goût d’un imaginaire plus profond que fantasque, celui qui, non à la façon d’un Philippe Decouflé, crée des formes pour ne rien dire, mais plutôt pour passer à la chignole nos fantasmes les plus ancrés, les plus troublants. Avec un tempérament de vif argent, une inventivité sans relâche, dont on se demande comment elle ne l’épuise pas lui-même, et une générosité qui l’attache à ses sources, à son héritage, autant qu’à son équipe, et notamment à ses acolytes Alain Lagarde, scénographe, Philippe Guillotel, costumier, Bertrand Maillot, pour les coups de poivre musicaux ajoutés à la partition de Tchaïkovski, outre les formidables lumières de Dominique Drillot.
 
Bref, un mélange jouissif qui donne des résultats percutants : ce Casse Noisette Compagnie où il s’amuse à créer un véritable jeu de piste, raconte bien des histoires, dont le cœur est celle de la Compagnie elle-même. Le ballet, lui, vient de loin. Maillot l’avait d’abord planté dans un cirque, ce qui lui permettait toutes les fantaisies. En 1993, il le revisitait, pour fêter ses trente années dans la principauté, et le situait dans un studio de danse, y introduisant tous les conflits, les amours, les bonheurs que se partagent les artistes.
Revoici donc cette version vibrante, où le chorégraphe règle quelques comptes, à la façon d’un chat, avec quelques coups de griffes bien envoyés. Il y montre aussi, astucieusement les élèves de l’Académie Princesse Grace, aujourd’hui reliée directement  à sa Compagnie, ce qui permet une belle démonstration de classicisme, et surtout le place sous la baguette de sa bonne fée personnelle, la princesse Caroline, qui l’a invité, installé sur le rocher et depuis l’a soutenu d’une indéfectible amitié. Voici donc une foule de guirlandes chorégraphiques qui vont retomber dans un vrac soigneusement désordonné.
 
A l’appel d’un parrain Drosselmayer devenu belle dame glamoureuse à l’américaine, voici donc autour de parents mués en professeurs de danse, et d’une Clara qui rêve d’étoiles, comme tant de petites filles, un défilé où se mêlent les plus grandes réussites des Ballets de Monte Carlo, dans leur registre féerique, habilement tricotés et détournés, Cendrillon dansant sur Tchaïkovski, le Casse Noisette apparaissant dans une bulle qui rappelle bien celle de la Belle, Roméo et Juliette en marionnettes mourant sur le fameux Gopak, Puck et Titania (alias Casse Noisette et la fée Drosselmayer) se disputant autour d’un inénarrable char en forme de papillon ou de chou, on ne sait, la Belle au Bois endormie portée par ses princes - splendide moment -, pour culminer sur le réveil de la Belle, d’une indicible poésie, avec de voluptueux portés d’anthologie, et un final totalement fou, sous paillettes et confettis.
 
Entre temps, on aura cueilli au passage, quelques traces laissées par Karl Lagerfeld, Jérôme Kaplan, Ernest Pignon-Ernest et beaucoup d’autres familiers qui ont participé à l’aventure, au fil des années. Le tout précédé d’une petite vidéo où Jean Christophe Maillot converse avec la princesse Caroline, qui témoigne de leur malicieuse complicité. Bref un coffre aux trésors, où chacun trouve son bonheur et notamment le chorégraphe qui a la chance d’avoir une compagnie à la hauteur de ses frénétiques ambitions.
Il était difficile, certes, de remplacer Bernice Coppieters, qui fut une envoûtante fée Drosselmayer aussi ambiguë que possible, difficile aussi de trouver un successeur à l’espèce de diable en boîte qu’était Jeroen Verbruggen, parti trop tôt faire ses propres chorégraphies( et notamment un excellent Casse-Noisette à l’Opéra de Genève). Heureusement, une belle dame séduit par son charisme et  sa douceur langoureuse, c’est Marianna Barabas, superbe silhouette dans son fourreau hollywoodien. Quant à Stephan Bourgond en Casse Noisette, il lui faudra trouver le profil de son rôle, ce qui n’est guère facile, car Maillot a mis la barre très haut. Mais sa brillante technique l’aide à se sortir des chausse-trapes.
 
Mais il y a bien d’autres merveilles dans ce coffre, certaines venues tout droit du Bolchoï, dont Maillot est devenu l’interlocuteur privilégié depuis sa Mégère apprivoisée, montée à Moscou (1) : l’immatérielle Olga Smirnova, quintessence de la fluidité et de la finesse du style académique russe, quand il se veut distingué. Beaucoup de ballerines se déploient, elle se déroule, en d’incessantes volutes. Combien on regrette de n’avoir pas eu à l’Opéra de Paris une Bayadère de ce grand style! En face d’elle, un beau prince, l’Ukrainien Artem Ovcharenko, dont les pommettes et les bonds rappellent ceux d’un certain Noureev, la joliesse en plus, au point que dans son pays on fait parfois appel à lui pour incarner le génie disparu.

Face à ces nobles étrangers, la compagnie brille, de la longiligne Mimoza Koike à la percutante Maud Sabourin, et à la fine Anjara Ballesteros de Clara se faisant Cendrillon avec la même grâce, piquante ou touchante, ou encore le beau Gabriele Corrado. Mais personne ne déçoit dans cette grande tablée qu’un chorégraphe heureux a dressée avec gourmandise, d’autant que l’Orchestre de Monte Carlo, sous la baguette de Nicolas Brochot, a pleinement joué le jeu. A consommer sans modération.
 
Jacqueline Thuilleux

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(1) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/le-bolchoi-presente-la-megere-apprivoisee-de-jean-christophe-maillot-monaco-tsunami-compte

"Casse-Noisette Compagnie" (chor. Jean-Christophe Maillot) - Monaco, Grimaldi Forum, 29 décembre 2015, prochaines représentations les 2, 3 et 4 janvier 2016 www.balletsdemontecarlo.com
 
Photo @ Alice Blangero

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