Journal

Le Bolchoï présente La Mégère apprivoisée de Jean-Christophe Maillot à Monaco - Tsunami - Compte rendu

Une éblouissante partie d’échecs que cette rencontre explosive entre Jean-Christophe Maillot, directeur des Ballets de Monte Carlo, et les danseurs du Bolchoï. On avait évoqué l’aventure en son temps (1), lorsqu’elle se concrétisa enfin à Moscou après un long temps d’attente, du à l’attentat perpétré contre Sergei Filin, directeur du Ballet du Bolchoï. Mais ce danseur courageux a su tenir ses promesses et concrétiser le projet conçu avec Maillot, qu’il admire. Mieux, l’adversité semble avoir exacerbé son énergie.
Après un succès considérable donc à Moscou cet été, voici ce sublimé d’énergie, de sensibilité et de prodigieux talents venus électriser la scène du Grimaldi Forum, pour y inaugurer l’année France-Russie. Il peut sembler cruel d’avouer que ce ballet de Maillot, peut être son meilleur, est conçu pour une autre compagnie que la sienne. Mais on doit admettre aussi que ces danseurs sont les plus grands du monde, et qu’il se sont lancés dans leurs rôles à corps perdu : «  c’est le rôle de ma vie » dit Ekaterina Krysanova, irrésistible mégère. Il ne peut donc en résulter qu’une montée en puissance dans la pensée chorégraphique de cet artiste au sommet de son art aujourd’hui, et une émulation pour sa compagnie qu’on continue d’admirer.
 
Tout, dans cette exceptionnelle réussite, parle de la rencontre entre un homme aux instincts créateurs multiples, allant de la psychologie la plus poussée aux effets les plus spectaculaires, de la descente dans les sombres replis de l’âme humaine au plus vif de l’instinct de vie, avec des interprètes qui se jettent dans la scénographie mouvementée et brûlante qu’il a conçue sur mesures pour leur tempérament et leurs capacités.
La façon dont se jette en scène le farouche Petruccio, Vladislav Lantratov, restera dans les annales. Il y a du Spartacus dans ses bonds et rebonds, ses sauts qui commencent en élévation et finissent en parcours, une sorte de folie conquérante et jouissive qui n’appartient qu’aux russes, un Noureev, un Vassiliev, un Baryschnikov, un Derevianko, et aujourd’hui un Vadim Muntagirov l’ont bien montré. Son apparition débraillée et survoltée dégage une force à la fois érotique et dynamique qui enflamme le plateau comme elle enflamme la furieuse Katarina.
 
Leur duo, fait d’énergies contrariées, de chassés-croisés et de passion enfin aboutie,  frappe comme une claque à la face d’un monde vissé sur ses servitudes, et emporte dans un tourbillon. Maillot leur a dessiné des parcours subtils, des étreintes violentes, des portés inouïs, des affrontements quasi brutaux, à la mesure de ces deux être d’exception étouffés par leur monde et accomplissant un de ces parcours initiatiques qu’il aime à raconter, lui qui est un si grand amoureux des contes.
Autour d’eux, d’autres personnages magnifiquement croqués, avec finesse ou provocation, ce qui marie à la fois la profondeur shakespearienne et la frénésie russe. Splendides pas de deux romantiques pour le duo Vicentio et Bianca, les poétiques amoureux incarnés par Semyon Chudin et Anastasia Stashkevich, Roméo et Juliette à l’opposé du tempétueux couple central. Et une meneuse de jeu à couper le souffle, Anna Tikhomirova, aux cous de pieds d’anthologie.
 
Chorégraphie suprêmement habile, qui sur fond de décors discrets d’Ernest Pignon- Ernest, qui permettent de situer l’histoire sans la surcharger, et dans les souples et piquants costumes d’Augustin Maillot, sait utiliser la technique académique des danseurs du Bolchoï, les pointes parfaites des filles, les sauts invraisemblables des garçons, tout en leur injectant un peu de cette modernité qui enlève au ballet classique son aspect figé, comme un Mac Millan, un Cranko et un Neumeier ont su le faire. Avec cette Mégère, Maillot se situe à leur niveau. Et l’on quitte son ballet à regret, à la fois électrisé et bouleversé : bref, ébloui jusqu’aux tréfonds de l’âme, ce qui n’arrive pas souvent.
 
Rencontres décidément au sommet, menées par l’intelligence, car à la flamme shakespearienne, Jean-Christophe Maillot a eu l’habileté de mêler la vigueur détonante de Chostakovitch, dont il a même utilisé la Symphonie « Leningrad », à laquelle les Russes sont viscéralement attachés. Pour le reste, rythmes pétaradants, déchaînés par le chef Igor Dronov à la tête d’un Orchestre de Monte Carlo littéralement en folie.
 
Incontestablement, l’étincelle russe, avec sa fureur de vivre et de danser, a toujours enflammé le Rocher, comme on ne manque pas de le rappeler là-bas, où une plaque à la mémoire de Diaghilev est apposée sur l’Opéra Garnier.
 
Jacqueline Thuilleux
 
(1)www.concertclassic.com/article/la-megere-apprivoisee-en-creation-au-bolchoi-triomphe-moscovite-pour-jean-christophe-maillot-compte
 
La Mégère apprivoisée - Monaco, Grimaldi Forum, 20 décembre 2014.
 
A ne pas manquer, pour l’amour d’une des plus grandes ballerines du moment, les adieux de Bernice Coppieters, muse de Jean Christophe Maillot, dans le saisissant Faust conçu pour elle, les 28, 29, 30 et 31 décembre 2014, au Grimaldi Forum.  www.balletsdemontecarlo.com

Photo © Laurent Philippe

Partager par emailImprimer

Derniers articles