Journal

« Bohème, notre jeunesse » à l’Opéra-Comique – Version réduite, esprit entier – Compte-rendu

Quelle belle surprise ! Pour être absolument franc, votre serviteur se rendait avec une certaine méfiance à « Bohème, notre jeunesse », spectacle « d’après Giacomo Puccini » présenté à Favart. Suppression des épisodes « secondaires », des passages choraux, traduction en français, réduction de l’orchestre à treize musiciens : qu’allait-il rester de la Bohème ? On a été vite été rassuré et conquis par une production que le Comique a conçue en coproduction avec l’Opéra de Rouen-Normandie et le Théâtre Montansier de Versailles.

© Pierre Grosbois

Cette Bohème « de poche » – qui a vocation à circuler et à investir des lieux pas prioritairement destinés à l’opéra (des dates sont déjà prévue à Suresnes, Bastia, Versailles et Rouen) –, comme son histoire, est une affaire de jeunesse. Ses interprètes ont l’âge des rôles et une jeune metteuse en scène de théâtre, Pauline Bureau, est à l’œuvre pour sa première mise en scène lyrique (elle signe aussi l’adaptation et la traduction).
Je ne sais si P. Bureau lit la musique, elle sait l’écouter en tout cas ;  son travail force le respect par sa justesse, sa sincérité, son intelligence. Aussi économes de moyens que réussis les décors d’Emmanuelle Roy, associés à la vidéo astucieuse de Nathalie Cabrol et aux costumes bien trouvés d’Alice Touvet, situent l’action non sur la planète Mars ou au pied de l’Anapurna mais à Paris (en 1889), tout simplement. Que c’est agréable un metteur en scène qui ne pose pas comme préalable de « faire l’intéressant » – et, accessoirement, de s’économiser des séances de psy sur le dos du contribuable.

La Bohème à Paris, la Bohème à Favart (lieu de sa création française en 1898) : autant dire que la partition de Puccini est chez elle ici. Et la traduction en français ne fait qu’ajouter à la séduction d’un spectacle d’un seul tenant, avec changements de décors à vue, d’une fluidité parfaite.
Version raccourcie ? Oui, mais l’esprit de la partition, son charme infini, sa force d’émotion sont là, entiers. Le succès tient évidemment beaucoup aux chanteurs de la Nouvelle Troupe Favart. Voix épanouie, nuancée, la Mimi de Sandrine Buendia trouve en Kevin Amiel un Rodolphe lumineux, juste et extrêmement touchant. Juste : le terme vaut pour chacune des incarnations de ce spectacle : la Musette pleine de chien et de caractère de Marie-Eve Munger, le Marcel de Jean-Christophe Lanièce, aussi convaincant dans la virilité brute que l’humanité compatissante, avec à ses côtés, pas moins fermement dessinés, le Colline de Nicolas Legoux, le Schaunard de Roland Debois et l’Alcindor de Benjamin Alunni – impayable dans le « toutouesque » portrait que P. Bureau offre de lui. Et n’oublions pas le garçon de café d’Anthony Roullier. Beau travail d’équipe !

© Pierre Grobois

L’orchestre de la Bohème présente certes des aspects très chambristes mais le réduire à seulement treize instrumentistes (violon, alto, violoncelle, contrebasse, flûte – ou piccolo –clarinette – si b, la ou basse –, hautbois – ou cor anglais – basson, cor, trompette – si b ou ut –, percussions, harpe et accordéon) comme l’a fait Marc-Olivier Dupin pouvait conduire, là encore, à nourrir certaines craintes. Résultat absolument convaincant ; l’adaptation ne sonne jamais étique et colle idéalement à l’esprit du spectacle – merveilleuse idée que l’introduction de l’accordéon ! –, ce d’autant qu’elle est confiée aux musiciens des Frivolités Parisiennes.
L’Opéra-Comique a parfois embarqué cette excellente formation dans des productions d’intérêt secondaire. Avec « Bohème, notre jeunesse », elle trouve un spectacle à la mesure de son immense talent, menée par Alexandra Cravero qui, de bout en bout, séduit par sa souplesse et son attention aux timbres. On espère vite la retrouver, comme les Frivolités, dans la fosse de Favart !
Pour l’heure, encore trois dates : 13, 15 et 17 juillet. Si vous avez eu la mauvaise idée de quitter trop tôt Paris, vous pourrez vous rattraper au printemps 2019 à Suresnes, Bastia et Versailles. Pas de cigales au Comique, mais une pleine réussite !
 
Alain Cochard

logo signature article

Puccini/P. Bureau/M.-O. Dupin : « Bohème, notre jeunesse » (opéra d’après G. Puccini) – Paris, Opéra-Comique, 11 juillet : prochaines représentations le 13, 15 et 17 juillet 2018 // https://www.opera-comique.com/fr/saisons/saison-2018/boheme-notre-jeunesse
 
Reprises en 2019 à Suresnes (Th. Jean Vilar, 16 et 17 avril), Bastia (Th. Municipal, 9 mai), Versailles (Th. Montansier, 16 et 17 mai) et Rouen(Op. Rouen-Normandie, en novembre)
 
Photo © Pierre Grosbois

Partager par emailImprimer

Derniers articles