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Alexander Paley interprète l’intégrale des Rhapsodies hongroises à Gaveau – Tzigane et rhapsode – Compte-rendu

Alexander Paley (photo) est l’homme des voyages au long cours – et des défis : d’aucuns ont peut-être en mémoire son intégrale des sonates de Mozart, en une journée !, à Sucy-en Brie il y a un bon moment de cela. De retour à la salle Gaveau pour le récital qu’il donne tous les ans dans la série de Philippe Maillard, le pianiste américano-moldave a choisi les Rhapsodies hongroises de Liszt, ensemble qu’il est rare d’entendre dans son intégralité, à la différence des Harmonies poétiques ou des Années de Pèlerinage. Dix-neuf pièces, dont on ne joue que quelques unes, en laissant dans l’ombre beaucoup d’autres, pourtant aussi – et parfois encore plus – admirables d’invention pianistique et harmonique, telles les ultimes Rhapsodies nos 16 à 19.

D’entrée, la Rhapsodie n° 1 manifeste la liberté qui caractérisera l’ensemble de cette intégrale. Paley se régale évidemment des moments les plus brillants des ouvrages, mais ne cède aucunement à l’extériorité creuse qui leur a fait tant de tort. Il les aborde en vrai rhapsode, mu par un puissant sens narratif.

Les Rhapsodies hongroises regorgent de détails que les interprètes pressés, uniquement préoccupés par l’effet, occultent en général. Avec quelle acuité du regard le pianiste sonde-t-il – et réinvente-t-il – des partitions archi-rebattues telles que les nos 2, 6, 9 ou 15, avec quel art du contraste, quelle mobilité dans les éclairages parvient-il à leur donner vie.

Le bonheur n’est pas moins grand – et c’est l’un des atouts d’une intégrale des Rhapsodies, même si la proposition s’avère indubitablement trop « copieuse » pour certains auditeurs – de céder aux beautés de pièces délaissées telles que la n°3, miroitantes sous les doigts de Paley, l’admirable 5ème « Héroïde élégiaque », que l’interprète emplit d’un sombre pressentiment, ou la 8ème, toute baignée de soleil italien, aux traits aussi souples et fluides que ceux d’un archet sous de tels doigts.

Après la pause, le voyage recommence sur la 10ème dont l’interprète exploite avec art et chic les glissandi. Enchaînées, les Rhapsodies nos 11 et 12 montrent, outre un formidable travail sur les coloris, la cohérence musicale avec laquelle A. Paley conçoit un parcours (dans l’ordre de la numérotation) qui s’achève par les tardifs nos 16 à 19 (1882-1886), « face obscure de la Rhapsodie » dit justement Guy Sacre de ces quatre pièces. L’interprète les envisage comme un seul bloc en quatre sections. Vraie récompense au bout d’un longue route – il est bientôt minuit ... – que le climat que l’interprète installe au terme de son intégrale : regard à la fois fier, toujours audacieux, un peu amer aussi, du vieux Liszt sur ses glorieuses années de jeunesse ... Un grand moment.
 
Alain Cochard

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Paris, salle Gaveau, 23 mars 2017

Photo © DR

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