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Académie Ravel de Saint-Jean-de-Luz (47ème session) – La victoire de l’esprit chambriste

L’Académie Ravel fêtera le 50ème anniversaire de sa fondation - par Pierre Larramendy, maire de Saint-Jean-de-Luz de 1961 à 1971 - l’an prochain. A l’approche de ce cap symbolique, elle vient de démontrer une fois de plus sa capacité d’attraction sur les jeunes musiciens.

66 stagiaires, contre une cinquantaine l’an dernier, étaient se sont réunis du 29 août au 10 septembre, répartis entre les classes de Mireille Delunsch (chant), Stéphanie-Marie Degand (violon), Gérard Caussé (alto et musique de chambre), Gary Hoffman (violoncelle) Jean-Claude Pennetier (piano) et Bernhard Schmidt (musique de chambre). Compositeur invité, Gilbert Amy a aussi fait part de ses conseils aux jeunes musiciens.

Jean-François Heisser © T. Chapuzot

Président et directeur artistique de l’Académie Ravel, Jean-François Heisser insiste sur le « renouvellement du corps enseignant » auquel on assiste. Après le retour du chant à l'Académie l’an dernier, avec Mireille Delunsch, on a noté cette fois l’arrivée de Stéphanie-Marie Degand, professeur dont le double profil instruments anciens/violon moderne (au CNSMD de Paris, elle enseigne depuis cinq ans « l’approche du répertoire sur instruments historiques » et, depuis 2014, le violon moderne) a constitué un apport très enrichissant pour les stagiaires, d’autant que l’artiste est une pédagogue-née ... qui faisait la découverte de l’Académie et d’un mode de fonctionnement à part dans le paysage des académies de musique.

«  C’est Jean-François Heisser qui m’a proposé d’y participer, explique-t-elle. Le bilan est totalement positif pour moi, hormis le fait que j’ai dû rater la rentrée de mes deux filles, mais elles me pardonnent, c’est l’essentiel, ajoute-t-elle avec humour ! Il faut que chacun sache à quel point ce qui est à disposition des élèves et des professeurs ici est exceptionnel, ce à des tarifs extrêmement abordables pour les étudiants. Quinze jours dans un contexte idéal, surtout quand la météo est de la partie comme cette année, quinze jours au moment de la rentrée ; on est un peu hors du temps, c’est une sorte de parenthèse entre l’été et la rentrée. »

Comment expliquer l’atmosphère si particulière de l’Académie Ravel ? S.-M. Degand insiste sur le fait qu'«on ne ressent pas la pression propre aux académies d’été où les élèves préparent l’entrée au(x) CNSMD et ont tendance à se regarder en chiens de faïence. La proximité qui règne parmi l'équipe de professeurs, tous d’une grande simplicité, crée un climat qui déteint sur les stagiaires ; pas l’ombre d’une tension entre eux. »

Le renouvellement du corps enseignant s’est également illustré par la présence de Bernhard Schmidt en musique de chambre. Jean-François Heisser se réjouit d’autant plus de la venue du violoncelliste du Quatuor Mandelring que celle-ci s’inscrit dans le cadre d’une première collaboration avec Pro Quartet ; « collaboration avec l’association dirigée par Pierre Korzilius que nous souhaitons approfondir, pour agrandir notre réseau et apporter des débouchés aux jeunes musiciens en leur offrant des concerts, précise J.-F. Heisser. » Des perspectives comparables semblent se dessiner entre La Chapelle Reine Elisabeth et l’Académie Ravel.

Cette stratégie des « passerelles », des partenariats s’est déjà concrétisée par la mise en route en 2015 d’une collaboration avec le Palazzetto Bru Zane. Entre les inoxydables partitions de Ravel, Debussy, Mozart, Beethoven et autre Brahms, des pages de compositeurs français (ou belges, on l’oublie parfois un peu vite !) méconnus ont fait leur apparition dans les masterclasses et les concerts. La curiosité des élèves a visiblement été stimulée. Alexandre Dratwicki, directeur scientifique du PBZ, se dit « ravi car le Palazzetto a proposé les mêmes listes d’œuvres que l’année dernière, mais on relève cette fois des choix beaucoup plus aventureux de la part des stagiaires avec des ouvrages de Castillon, Gouvy, Lenormand, Dubois, Lalo, Grétry, Joncières, Hérold, Magnard, Jaëll, etc. On constate aussi une attitude plus décomplexée que l’an passé par rapport à la présence du Palazzetto et de son répertoire à l’Académie, ajoute-t-il. Les jeunes musiciens viennent à ma rencontre et me demandent de les écouter, de leur donner un avis, de leur expliquer le contexte dans lequel les œuvres qu’ils abordent ont été composées. Des stagiaires n’ayant travaillé qu’un ou deux mouvements d’une partition me font part de leur envie de la jouer dans sa totalité par la suite et de l’inscrire à leur répertoire. » 
Enthousiasme envers des compositions méconnues partagé par un professeur tel que S.-M. Degand : « Onslow et Gouvy sont des compositeurs qu’il faut absolument défendre ! Et je trouve formidable d’avoir par exemple mis en regard dans le programme d’un des concerts le Quintette à deux violoncelles de Schubert et un quintette de Gouvy. »

Quant au travail des raretés françaises par les élèves, « il est nécessaire, souligne J.-F. Heisser, d’ajuster ce que est le plus gratifiant pour les compositeurs à découvrir et le plus raisonnable pour que les choses soient présentées au meilleur niveau. » Grâce au Palazzetto une forme de révolution est à l’évidence en marche dans les habitudes de l’Académie ; elle ne pourra que contribuer à faire de l’institution luzienne le pôle de référence dans l’enseignement de la musique française auquel J.-F. Heisser aspire depuis son arrivée en 2000.

Oubliant la météo superbe et les tentations qu’elle peut – très légitimement ! -  faire naître à quelques mètres de l’océan, le public a, comme l’an passé, répondu en nombre pour assister aux masterclasses (32 en tout). Le retour du chant et l’arrivée du répertoire du Palazzetto l’an dernier avaient contribué à une spectaculaire hausse ( + 43 %) de la fréquentation. Elle se maintient et progresse même un peu encore (+ 2 %).
Quant aux concerts, leur fréquentation est demeurée stable, avec des nouveautés dans les propositions, tel ce rendez-vous musical organisé à la Villa Arnaga, célèbre demeure d’Edmond Rostand à Cambo-les-Bains (ville où Albéniz mourut en 1909).

Dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes pour l’Académie Ravel serait excessif : elle n’échappe pas à la baisse des subventions publiques (26 % de son budget). Depuis 2010, la baisse est de 73 % ... Mais elle peut néanmoins compter sur ses ressources propres ( 41% du budget) et les dons privés et le mécénat (33 % du budget).

Il demeure que l’union fait la force : la volonté de J-F. Heisser de s’associer au Festival Musique en Côte Basque est plus grande que jamais. « Nous avons déjà un plan concerté pour quelques événements en commun l’an prochain avec, à l’horizon 2018, un Festival Ravel. » Une ambition frappée au coin du bon sens et de la cohérence musicale. Le projet de Concours Ravel, évoqué dans nos colonnes par le directeur artistique de l’Académie l’an dernier, n’est pas abandonné mais, dans le contexte budgétaire actuel, la prudence et des priorités s’imposent ...

Le Trio Sōra © Académie Ravel

S’agissant du niveau général de l’Académie 2016, tout le monde s’accorde (et les trois concerts auxquels nous avons assisté le confirment) à reconnaître un bon niveau d’ensemble, mais avec moins d’individualités saillantes que l’an passé (il est vrai qu’on ne trouve pas une Anastasia Kobekina à chaque coin de rue ...).

En tête des prix décernés (cf. le palmarès complet ci-dessous), la présence du Trio Zadig (photo) est significative. Outre quelle se justifie pleinement si l’on en juge par le Trio Hob. XV:27 de Haydn, admirable de style et d’esprit, qu’a donné cet ensemble, elle prouve que l’Académie Ravel est capable d’attirer de jeunes formations constituées, fortes d’un parcours assez riche déjà. La présence du Trio Medici ou du Duo Urba (1er Prix du Concours de Musique de Chambre de Lyon 2016) en apporte deux autres exemples. L’esprit chambriste aura également triomphé grâce au jeune Trio Sōra, un trio avec piano (Magdalena Geka, Angèle Legasa et Pauline Chenais), dont l’interprétation du Trio n° 2 op. 66 de Mendelssohn, fabuleuse d’intensité, d’élan et de plénitude, a légitimement recueilli les suffrages de l’auditoire.
Autre ensemble constitué, duo de piano cette fois, le Duo Miroirs (Marion Jacquard et Jamal Moqadem) a offert de jolies Valses à quatre mains op. 8 de Marie Jaëll. Les interprètes auraient pu s’autoriser une ou deux bonnes pincées de piment d’espelette, mais la découverte ne manquait cependant pas de charme.
 

Shuichi Okada (à g.) lors de la remise des prix © Académie Ravel

Parmi les divers instrumentistes, côté archets, on a pu remarquer le jeu lumineux et le sens du dialogue de Shuichi Okada (violon, 21 ans), dans le Blues et le final de la Sonate de Ravel, tout comme la plénitude sonore de Guillaume Wang (violoncelle) dans le Lent-Ardent de la 2ème Sonate de Ropartz. A 19 ans seulement, le jeune Australien dispose d’un très beau potentiel. A lui maintenant de faire plus ample connaissance avec la musique française de cette époque, pour se défaire d’une conception par trop « onctueuse ».

Lors de ce passage à l'Académie, trop rapide hélas pour prendre la mesure de tous les talents assemblés, on aura aussi remarqué, côté piano, le jeu vivant et poétique de Juliette Journaux (20 ans). Enfin, on ne peut que mettre un accent particulier, au sein du Trio Sōra, sur Pauline Chenais, dont les grandes qualités ne s’exprimaient toutefois que dans l’intérêt de la musique et du dialogue avec ses partenaires.

Alain Cochard

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Saint-Jean de Luz, Auditorium Maurice Ravel, 9 et 10 septembre 2016.

Site de l'Académie Ravel : www.academie-ravel.com

 
Palmarès 2016 de l’Académie Maurice Ravel (47ème Session)

PRIX DE L’ACADEMIE MAURICE RAVEL DE LAVILLE DE SAINT-JEAN-DE-LUZ
Trio Zadig (Boris Borgolotto,
Marc Girard-Garcia, Ian Barber) (France)
PRIX MAURICE RAVEL DE LA VILLE DE CIBOURE
Shuichi Okada, violon (France)
PRIX DES CLUBS SERVICE DU ROTARY – LIONS DE SAINT-JEAN-DE-LUZ
Anne-Sophie Vincent, chant (France)
 Guillaume Wang, violoncelle (Australie)
 Pierre Cavion, piano (France)
PRIX DE L’ORCHESTRE REGIONAL BAYONNE CÔTE BASQUE
Shuichi Okada, violon (France)
PRIX DU FESTIVAL DE L’ORANGERIE DE SCEAUX 2016
Shuichi Okada, violon (France)
Dominik Baranowski, alto (Pologne)
Alexis Derouin, violoncelle (France)
PRIX DU FESTIVAL DE L’ORANGERIE DE SCEAUX JEUNES TALENTS 2017
Duo Miroirs (
Marion Jacquard et Jamal Moqadem, piano)  (France)
PRIX MELOMANES CÔTE SUD
Alexis Derouin, violoncelle (France)
Juliette Journaux, piano (France)
PRIX MELOMANES CÔTE SUD - DANY POUCHUCQ
Trio Medici (Vera Lopatina, Adrien Bellom, Olga Kirpicheva) (France et Russie)
PRIX DES MUSICIENS ENTRE GUERRE ET PAIX
Trio Sōra
 (Magdalena Geka Angèle Legasa, Pauline Chenais) (France et Lettonie)
PRIX DES MOMENTS MUSICAUX DE CHALOSSE
Elsa Moatti, violon (France)
Célia Oneto Bensaid, piano (France)
PRIX DU MUSEE BONNAT-HELLEU
Magdalena Sypniewski, violon (France)
Caroline Sypniewski, violoncelle (France)
 
Photo Trio Zadig © Académie Ravel (Remerciements à Ghislaine Castillon)

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