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33e Festival Présences de Radio France - Virtuosités et fantaisies – Compte-rendu
Après une ouverture réussie (1), le festival de création musicale de Radio France a poursuivi sa célébration de l’œuvre – fantaisiste et virtuose – d’Unsuk Chin (photo), tout en s’attachant à faire découvrir les voies multiples de la musique d’aujourd’hui.
Après les deux œuvres concertantes présentées lors du concert d’ouverture, c’est de nouveau par ce genre que se complète le portrait de la compositrice coréenne. Scherben der Stille (« briser le silence ») est son deuxième concerto pour violon. Composé en 2021, vingt ans après un premier dédié à Anne-Sophie Mutter, il se veut un « portrait subjectif » de son dédicataire, Leonidas Kavakos. De fait, la virtuosité sans débordement du violoniste grec est d’emblée mise à rude épreuve par les variations sur un motif de quelques notes qui « brise le silence » au début de l’œuvre. Cette virtuosité essentielle se retrouve peu à peu à l’orchestre, qui semble, sous la direction attentive de Kent Nagano, transformer en timbres inouïs, en fugaces iridescences les traits du soliste.
Leonidas Kavakos © Christophe Abramowitz - Radio France
On peut d’ailleurs rapprocher la démarche de la compositrice avec celle qu’elle met en œuvre dans ses œuvres « mixtes », pour instruments et électronique ; Double Bind ? (2007), réalisée à l’Ircam et donnée ici par la violoniste Reika Sato, jeune soliste de l’Ensemble Next (formé d’étudiants du CNSMD de Paris), joue de façon similaire des interactions du jeu instrumental et de son interprétation très libre par l’électronique live – même si dans ce cas, l’électronique semble peu à peu prendre sa liberté et devancer les gestes de la violoniste.
L’écriture d’Unsuk Chin a ici comme toujours une évidente dimension théâtrale qu’illustrent encore, lors du dernier jour du festival, la « pantomime pour ensemble » cosmigimmicks avec son étonnante nomenclature (dont harpe, guitare, mandoline, piano préparé) ainsi que deux œuvres pour voix et orchestre qui ouvre et ferme le concert de clôture, avec l’Orchestre philharmonique de Radio France dirigé par Anthony Hermus. Le Silence des sirènes (2014, création ce soir de la nouvelle version) est un peu le pendant vocal de Scherben der Stille : la voix de la soprano est envisagée sous l’angle de la virtuosité instrumentale. Impressionnante dans cette longue aria souvent mélismatique, Faustine de Monès, y accorde ses intonations aux inflexions changeantes de l’orchestre. À l’inverse, c’est une voix parlée-chantée, proche du théâtre, que requiert Puzzles and games from Alice in Wonderland où Unsuk Chin rouvre la boîte à merveilles musicales de son opéra d’après Lewis Carroll : Alexandra Oomens emporte l’enthousiasme du public au côté d’un orchestre plus brut mais non moins fantasque.
Fantaisie et virtuosité n’étaient pas en reste chez les autres compositeurs invités de Présences cette année. Ce sont les maîtres mots du concert de l’ensemble C Barré et des Neue Vocalsolisten Stuttgart où, au côté de cosmigimmicks figuraient des œuvres de Georges Aperghis (né en 1945) et Mikel Urquiza (né en 1988) qui font musique de notre quotidien, de ses mots un chant inspiré : Passwords du premier, My Voice is my password et Songs of Spam du second puisent aux mêmes sources, à la trivialité de nos interactions quotidiennes avec la machine, au-delà de l’humain. Le nonsense cher à Unsuk Chin est ici de rigueur. Si la verve musicale d’Aperghis est bien connue – non pas conversation en musique mais musique par la conversation – on découvre avec plaisir les œuvres pleines d’esprit de Mikel Urquiza, où l’ironie mordante et le sens du pastiche le disputent à une écriture vocale d’une vivacité magnifique. Dans Songs of Spam, le théâtre s’étend aux parties instrumentales ; il faut dire que les musiciens de C Barré, impressionnants d’aisance et de virtuosité sous la direction de Sébastien Boin, s’en donnent à cœur joie. On notera d’ailleurs que cette théâtralité est intrinsèquement musicale : preuve en est que ces deux œuvres gardent toute leur force dans l’enregistrement que viennent de publier les mêmes interprètes (2). Le contraste est saisissant avec la création de Jonas de Martin Smolka, interprétation très poétique et imaginative de l’épisode biblique brassant les genres musicaux entre fantaisie rythmique et inspirations presque folk.
Kent Nagano © Christophe Abramowitz - Radio France
Yann Robin (né en 1974), construit la progression de Requiem aeternam – Monumenta II par accumulation, par le choc des masses sonores réunies : l’orchestre, le chœur dédoublé, deux pianos en accords décalés (Jean-Frédéric Neuburger en la 440 Hz, Wilhelm Latchoumia en la 438 Hz), l’orgue (une cadence de Lucile Dollat portera l’œuvre à son paroxysme). Si, comme dans Monumenta I pour grand orchestre créé il y a dix ans, l’œuvre ne peut éviter un certain côté spectaculaire, un effet de masse qui « fige » le son, il utilise son effectif immense pour sculpter des vides et des pleins, faire sourdre, recouvrir puis laisser resurgir le flot continu des deux pianos, faire entendre le texte du Requiem puis le submerger sous les assauts de l’orchestre redoublés par l’orgue. À la tête de l’Orchestre philharmonique de Radio France et du Chœur de Radio France (préparé par Roland Hayrabedian), Kent Nagano propulse méthodiquement les blocs sonores les uns contre les autres. Le résultat, monumental, fait peu à peu son chemin dans l’esprit de l’auditeur.
Jean-Guillaume Lebrun
Paris, Maison de la radio et de la musique ; Philharmonie, 10 et 12 février 2023
(1) www.concertclassic.com/article/unsuk-chin-au-33e-festival-presences-de-radio-france-ouverture-miracle-compte-rendu
(2) Mikel Urquiza, Espiègle, ensemble C Barré, Neue Vocalsolisten, direction Sébastien Boin – 1 CD L’Empreinte digitale ED 13263.
Photo © Christophe Abramowitz - Radio France
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