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16ème Rencontres musicales de Vézelay – Nouveau départ – Compte-rendu
En lançant en 1999 les Rencontres de Vézelay, Pierre Cao a installé dans ce haut lieu du patrimoine une manifestation musicale de premier plan. 1999 fut aussi le moment de la création, par le même Pierre Cao, de l’Ensemble Arsys-Bourgogne, l’un des principaux protagonistes des Rencontres depuis lors. Le départ à la retraite du chef luxembourgeois en juillet 2014 aura été l’occasion d’une réorganisation des forces et des activités musicales de Vézelay dans le cadre d’une structure unique ayant statut d’Etablissement Public, la Cité de la Voix, créée officiellement en novembre 2014 et installée dans les bâtiments de l’hospice de Vézelay, que le Conseil régional de Bourgogne a acquis à cette fin.
Présidée par Françoise Tenenbaum, vice-présidente du Conseil régional de Bourgogne, la Cité de la Voix regroupe les activités de résidences, la saison publique, les Rencontres musicales et l’ensemble Arsys-Bourgogne. Après avoir conduit une mission de préfiguration pendant un an et demi, Nicolas Bucher a pris la direction de la Cité de la Voix, avec un enthousiasme qui traduit sa volonté de faire fructifier toutes les potentialités offertes par l'institution qu’il conduit.
Arsys-Bourgogne en demeure un rouage essentiel. Suite au départ de P. Cao, un appel à candidatures avait été lancé, aboutissant au recrutement en décembre 2014 du jeune Mihály Zeke (né en 1982), dont la prise de fonctions date du mois de janvier dernier. Son arrivée donne une nouvel élan à l’ensemble au terme d'une assez longue période de transition. Parmi les projets d’Arsys, on relève la reprise de la collaboration avec La Fenice de Jean Tubéry (pour les Vêpres de Monteverdi) et un projet, déjà amorcé, de programme romantique allemand à double-chœur avec Accentus
Les Rencontres du mois d’août demeurent le temps fort des activités de Vézelay, mais elles ne sont que la partie la plus visible d’une vie musicale répartie sur l’ensemble de l’année. La saison 2015-2016 sera ainsi marquée par diverses résidences artistiques, celles de compositeurs, Philippe Hersant et Jacques Rebotier, mais aussi d’interprètes tels que l’Ensemble Aedes (photo) de Mathieu Romano, le Quatuor Béla (qui travaillera avec Jacques Rebotier) ou encore l’Ensemble Gilles Binchois et Les Sonadori pour une collaboration sur un programme « De Venise à Tolède » destiné à la soirée inaugurale des Rencontres musicales 2016.
La volonté d’ouverture au public tout au long de la saison s’accentue avec divers rendez-vous mensuels mais aussi ce que Vézelay désigne comme ses « Quatre 21 ». Les Journées du Patrimoine (21/09), le 21 décembre, le 21 juin et sa Fête de la musique (le rendez-vous est fixé à … 5h 42 du matin !) constitueront des moments saillants de la saison, tout comme le 21 mars, date de naissance de Jean-Sébastien Bach et point d’orgue d’un « Happy Birthday J.-S. Bach » (du 17 au 21 mars).
« Je me suis réservé la programmation de cet Happy Birthday », confie avec un plaisir gourmand Nicolas Bucher. Une petite exception dans un organisation collégiale puisque la direction artistique des Rencontres musicales de Vézelay est dorénavant assurée par Nicolas Bucher, Mihály Zeke, Mathieu Romano et Géraldine Toutain, directrice artistique de la mission voix au LAB (Liaisons Arts Bourgogne), une équipe qui travaille déjà activement sur la programmation 2016.
Outre ce caractère collégial, on note que la manifestation fonctionnera désormais sur un principe de « parcours quotidien » consistant à thématiser chaque journée des Rencontres. Par ailleurs le site de Vézelay et ses environs (Avallon, Clamecy, le théâtre d’Auxerre à compter de 2017, etc.) seront toujours plus intégrés à un projet artistique soucieux de parvenir à un plus grand équilibre entre répertoire et interprètes.
La programmation d’une manifestation telle que les Rencontres de Vézelay est affaire d’anticipation et celle de 2015 restait donc encore l’œuvre de Pierre Cao, Nicolas Bucher n’étant intervenu que de façon marginale sur une édition que le directeur du Centre de la Voix décrit comme « un véritable pont jeté entre le passé et l’avenir ». De la Renaissance au XXe siècle, la journée de clôture des 16èmes Rencontres musicales illustrait on ne peut mieux la variété des styles abordés.
Ensemble Epsilon © DR
En fin de matinée, dans la cour du centre Sainte-Madeleine noyée de soleil, l’Ensemble Epsilon est au rendez-vous pour un concert « Renaissance à la carte ». Quatre des dix chanteurs de la formation (Maud Hamon-Loisance, la directrice artistique, Josquin Gest, Xavier Olagne et Romin Bockler) interprètent un florilège de pièces, en majorité profanes (Josquin Deprez, Janequin, Certon, Passereau, Phinot) parfois sacrées (Victoria, Compère), dans une mise en scène de Pierre-Alain Four. Celle-ci mise sur la connivence avec le public ; terrain glissant où il est facile d’en faire trop … Mais l’affaire est menée avec tact et esprit et, parce que la musique demeure toujours au centre de la démarche, la sauce prend et le public se régale de moments drôles, tendres, émouvants aussi, tel le Doulce mémoire de Pierre Sandrin, véritable perle au sein d'un programme équilibré servi par des interprètes complices et d’un style très sûr (1).
Mihály Zeke © Conrad Schmitz
Parmi les lieux proches de Vézelay régulièrement associés aux Rencontres, la collégiale Saint-Lazare d’Avallon accueille en cours d’après-midi Arsys-Bourgogne et son nouveau chef Mihály Zeke. Comme on l’a noté plus haut, l’arrivée de ce dernier à la direction de l’ensemble est encore très récente et quelques mois n’ont évidemment pas suffi pour qu’il imprime sa marque. Malgré l’engagement des interprètes et de belles interventions solistes, on est resté un peu sur sa faim dans le Dixit Dominus HWV. 232 de Haendel, entaché d’imperfections tant vocales qu’instrumentales, comme dans les Cinq Rechants de Messiaen où l’on eût aimé des attaques plus nettes, une conduite de la phrase plus dynamique. Mais le bilan s’avère infiniment plus positif au terme du Gloria (n° 3 des Tre canti sacri) de Scelsi, maîtrisé dans ses moindres nuances, et du « Singet dem Herrn ein neues Lied » BWV 225 de Bach que M. Zedek conduit avec une généreuse respiration et une authentique jubilation intérieure. Voilà qui augure du meilleur pour l’avenir.
Mathieu Romano © Jean-Pierre Hakimian
Le concert « Chœur à chœur » du soir dans la basilique Sainte Marie-Madeleine réunit le Chœur de la Radio Lettone (dir. Sigvards Klava) et l’Ensemble Aedes. Créée et menée par Mathieu Romano (né en 1984), cette formation désormais associée à la Cité de la Voix se trouvait là face à une forte concurrence. Le voisinage avec le prestigieux chœur balte n’aura fait que souligner le niveau exceptionnel d'Aedes.
Sigvards Klava et ses chanteurs ouvrent le programme avec Aeternam de Bernat Vivancos (né en 1973), pièce envoûtante qui souligne la richesse, la plénitude et l’homogénéité du Chœur de la Radio Lettone. Mathieu Romano et Aedes enchaînent sur le Lux Aeterna de Ligeti : mise en place et intonation parfaites – la pièce est redoutable ô combien de ce point vue – certes, mais par-delà la qualité de la réalisation c’est d’abord la densité du propos qui frappe. Immobilité agissante de la musique …
Un nouveau choc attend l’auditeur après que le Chœur de la Radio Lettone a rejoint Aedes sur scène pour la Messe à double-chœur de Franck Martin, chef-d’œuvre trop méconnu. Attaque du Kyrie : en un instant la musique emplit l’espace autant que M. Romano habite, au sens le plus fort du terme, un matériau sonore qu’il façonne avec un charisme peu ordinaire. Les choristes sont littéralement aimantés par sa direction aussi précise que suggestive. Pas un geste stéréotypé, pas une temps mort, chaque note est portée ; de bout en bout un authentique émerveillement caractérise une interprétation au souffle puissant. On sort de la basilique pour l’entracte un peu groggy par tant de beauté et de hauteur de vue.
Drop in the Ocean, composition étonnante d’Eriks Esenvalds (né en 1977) sur le texte du Pater noster est confiée aux seuls choristes lettons menés par S. Klava. Un étonnant prologue, entre chant et sifflements, à une seconde partie occupée par Figure humaine de Poulenc, sous la direction de M. Romano. Ce concert constitue la première collaboration d’Aedes et du Chœur de la Radio Lettone. Comme dans la Messe de Martin, l’homogénéité et l’équilibre du résultat forcent l’admiration, mais c’est d’abord par l’intelligence du texte et le frisson poétique qui parcourt la musique que se distingue une approche d’une bouleversante humanité.
Le public ne s’y trompe pas et réserve un vrai triomphe aux interprètes. A Messiaen et son O Sacrum Convivium de conclure, toujours sous la direction fervente de M. Romano.
Alain Cochard
(1) On peut que recommander la découverte de l’enregistrement « D’un doux regard… » (œuvres de Layolle, Corteccia, Rampollini, Willaert, Festa) qu’Epsilon vient de faire paraître. Rens. www.ensemble-epsilon.com
Vézelay (Centre Marie-Madeleine, Basilique Sainte Marie-Madeleine), Avallon (Collégiale Saint-Lazare), 22 août 2015
Site de la Cité de la Voix : lacitedelavoix.net
Photo Ensemble Aedes © Jean-Pierre Hakimian
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