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14ème Festival de Musique Ancienne de l'Épine - Ludus Modalis chante Schütz & Bach - Compte-rendu
À huit kilomètres de Châlons-en-Champagne fut érigée au XVe siècle l'une des merveilles du gothique flamboyant : la basilique Notre-Dame-de-l'Épine, haut lieu de pèlerinage champenois. C'est dans ce cadre – et sa remarquable acoustique – que l'organiste et claveciniste Jean-Christophe Leclère a créé le Festival de Musique Ancienne de l'Épine, dont la 14ème édition, ouverte les 14 et 15 août (florilège de Sonates baroques pour violon et clavecin puis Sonates du Rosaire de Biber), se referme ce 28 septembre. Si dans le transept nord de la basilique trône un élégant et haut ensemble Renaissance (tribune et buffet de 1542), la partie instrumentale, bien que comptant quelques tuyaux anciens, est moderne. Un projet de recréation d'un orgue du XVIe siècle est actuellement à l'étude, un appel au parrainage des tuyaux ayant été lancé à cet effet par la Fondation Patrimoine (1).
Consacré au baroque allemand, l'avant-dernier week-end de septembre fut l'occasion d'entendre deux programmes du plus haut intérêt, à la musique de chambre répondant la musique sacrée. Devant un auditoire hélas restreint, situation dont le mérite fut de restituer à merveille l'atmosphère d'un concert privé dans quelque demeure de Saxe, de Berlin ou de Hambourg, furent proposées des œuvres pour une ou deux flûtes (traverso) et continuo. Tous deux disciples de Barthold Kuijken, Patrick Beuckels – soliste habituel, entre autres, des gravures Bach d'un Philippe Herreweghe – et Hélène d'Yvoire ouvrirent la soirée avec la délicieuse Sonate en trio BWV 1039 de Bach, Jean-Christophe Leclère assurant la partie de continuo sur l'orgue, installé sur le côté de la nef, que lui-même a commandé au facteur belge Rudi Jacques : idéal pour l'accompagnement mais aussi soliste éloquent. Moment de grâce et d'infinie invention mélodique avec la Sonate en si mineur de Telemann (Patrick Beuckels), suivie d'une étonnante rareté : Duet en mi mineur pour deux flûtes sans basse de Wilhelm Friedemann Bach, suite de pages rythmiquement complexes et souvent harmoniquement audacieuses, d'une saveur indéniablement « moderne ».
On entendit ensuite l'orgue seul : Sonate en ré mineur Wq 62/15 de C.P.E. Bach, œuvre pour clavier ne faisant pas partie des fameuses six Sonates Wq 70 traditionnellement attribuées à l'instrument à tuyaux. Le fils puîné de Bach y témoigne de cette prodigieuse et créative fantaisie soucieuse de surprendre et d'élever, tenant formidablement l'auditeur en haleine, que l'on retrouva aussitôt après dans ce qui fut sans doute l'apogée de ce concert : la Sonate en mi mineur pour flûte et basse continue, monument d'invention, de souffle et d'autorité, admirablement servie par Patrick Beuckels. Telemann referma ce concert avec un autre extrait de sa Tafelmusik : Sonate en trio en ré majeur, dont le charme, la vivacité et l'humeur enjouée offrirent une exquise détente après le vertige de C.P.E. Bach.
Le lendemain soir, dans une ambiance chaleureuse qui est aussi la marque du Festival, le ténor Bruno Boterf (photo, au centre) et son ensemble Ludus Modalis proposaient la restitution d'un office funèbre imaginaire – Un Requiem allemand – où Heinrich Schütz dialoguait avec J.S. Bach, né un siècle exactement après l'illustre maître de Dresde et dont on sait qu'il fit jouer maintes de ses œuvres. Schütz n'ayant prévu aucun apparat instrumental (« la messe funèbre sera confiée à six chanteurs soutenus par l'orgue ») sans toutefois l'exclure, Bruno Boterf a opté pour une solution séduisante : faire profiter cette œuvre de Schütz de l'instrumentarium requis par celles de Bach ici retenues.
Le programme s'ouvrit sur une œuvre de maturité du Cantor, le motet funèbre O Jesu Christ, mein Lebens Licht BWV 118 (1736-1737), jadis classé parmi les Cantates (d'où son numéro de BWV), page grandiose pour chœur à quatre parties, trois trombones (sacqueboutes), cornet à bouquin, cordes et continuo – de nouveau Jean-Christophe Leclère à l'orgue Rudi Jacques, avec le violoncelle de Jean-Christophe Marq et la contrebasse de Michel Frechina Ten, d'une efficace et lumineuse présence. Contraste saisissant avec le motet suivant, Komm, Jesu, komm BWV 229, vaste élaboration pour double chœur mais a cappella. S'ensuivirent, alternant pages vocales avec juste le continuo ou toute la magnificence des instruments, les somptueuses Musicalische Exequien op. 7 (SWV 279-281) de Schütz, à la jonction de leurs trois parties s'insérant le grand motet de Bach Jesu meine Freude BWV 227, lui-même ici scindé en deux sections : lecture extrêmement vive et hautement expressive de Bruno Boterf, rehaussée d'un foisonnement de contrastes et de suspensions du temps, d'une irrésistible énergie pour un théâtre sacré en mouvement, aussi puissant que sans tiédeur, captivant l'auditeur par une ferveur pleinement communicative. Chacune des onze sections de ce BWV 227 fut un prodige d'individualisation autant que de cohérence au sein de l'ensemble – avec un Gute Nacht tout simplement magique, confié à l'équilibre inouï d'une voix de ténor-baryton (splendide Vincent Bouchot) en dialogue a cappella avec les six dessus vocaux. Dans les sections de type choral ponctuant le déroulement de l'œuvre, l'orgue sortit de son rôle de continuo pour se faire, avec force et conviction, soutien de la ferveur luthérienne du chant d'assemblée, avant que le chant soliste et d'ensemble, sophistiqué et ô combien exigeant, ne reprenne ses droits.
Office funèbre ne signifie pas déploration, ainsi que l'œuvre haute en couleur et gorgée de vie de Schütz en fit la démonstration. La vie après la mort étant le but ultime du croyant, Bruno Boterf couronna ce programme de la Cantate de Pâques BWV 4 de Bach, Christ lag in Todesbanden (« Christ gisait dans les liens de la mort »), œuvre de jeunesse des plus somptueuses (1707-1708, reprise à Leipzig en 1725). Où l'on retrouva une atmosphère comparable à celle du BWV 227, ainsi dans le Versus initial, d'une enveloppante et magistrale plénitude sonore – pure jubilation de l'Halleluja final. Les pages solistes d'apparat abondent dans cette Cantate, ainsi le redoutable air de basse où Bach fait plonger le soliste au plus profond de sa tessiture pour aussi le catapulter jusqu'à sa limite aiguë, défi admirablement relevé par Jean-Claude Saragosse, d'une présence, par le timbre et le texte, sidérante ; ou encore le trop bref, car délicieux, duo soprano-ténor sur une engageante basse continue : Kaoli Isshiki, radieuse d'aisance, de pureté d'intonation mais aussi de puissance, Olivier Coiffet, au timbre solaire et d'une formidable souplesse sur l'ensemble de la tessiture. Présentes tout au long du programme, les cordes de l'Académie Sainte Cécile, depuis vingt ans l'un des piliers musicaux de l'Épine à travers le collectif Cordis et Organo sous la direction de Philippe Couvert, son premier violon, resplendirent tout particulièrement dans ce BWV 4, l'équilibre entre les douze chanteurs et les dix instrumentistes, cuivres compris, relevant d'une parfaite et vive harmonie. Ce programme Schütz-Bach, musicalement et spirituellement si convaincant, Bruno Boterf rêve de l'enregistrer en Allemagne, entre Saxe et Thuringe, avec pour le continuo un orgue de tribune. Puissent les mânes de Schütz et de Bach favoriser l'accomplissement d'un tel projet !
Le Festival se referme ce 28 septembre avec un Bach des plus singuliers : Passion selon saint Matthieu en la basilique de l'Épine, avec la Maîtrise de Reims et l'Académie Sainte Cécile dirigés par Philippe Couvert – et parmi les solistes Bruno Boterf pour les airs de ténor –, mais aussi les marionnettes du Théâtre national tchèque Drak de Hradec Králové pour une confrontation inédite.
Michel Roubinet
(1) http://www.fondation-patrimoine.org/fr/champagne-ardenne-8/tous-les-proj...
Festival de Musique Ancienne de l'Épine, 20 et 21 septembre 2013
Sites Internet :
Festival de Musique Ancienne de l'Épine
https://fr-fr.facebook.com/pages/Festival-de-Musique-Ancienne-de-lÉpine-en-Champagne-Cordis-et-Organo/142224439162763
Ludus Modalis / Bruno Boterf
http://www.ludusmodalis.com
Bach / Passion selon saint Matthieu / L'Épine, 28 septembre 2013
http://www.la-comete.fr/spectacles/217/la-passion-selon-saint-mathieu/20...
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Photo : DR
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