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Yevgeny Sudbin en récital à Bagatelle – Un grand Russe - Compte-rendu

Enfin ! Né en 1980 à Saint-Pétersbourg, formé dans sa ville natale puis à Berlin et à Londres, Yevgeny Sudbin compte parmi les pianistes majeurs de sa génération (une discographie déjà étoffée pour le label Bis l’atteste), mais aura dû attendre ses 33 ans pour se produire à Paris… Après ses triomphes à Verbier et à Montpellier cet été, il était l’invité de la découvreuse série d’Anne-Marie Réby « Les Solistes à Bagatelle ». Une météo exécrable aura sans doute dissuadé pas mal de mélomanes de se rendre à l’Orangerie, mais les présents ont vécu un moment de pur bonheur, pianistique certes mais d’abord musical.

Sonorité d’une richesse et d’une densité peu ordinaires : on est littéralement saisi par des Funérailles lisztiennes que Sudbin investit dès la première note et conduit avec un souffle symphonique et une héroïque noirceur, jamais à cours d’idées – magnifique section lacrimoso, comme surgie d’un autre monde. A l’opposé du geste qui se déployait là, le Sonnet de Pétrarque qui suit montre l’interprète sous un jour plus intimiste, tout de lyrisme, de noblesse et d’élégance.

Un couple de Sonates de Scarlatti (sol mineur et si mineur K. 27), d’un magique raffinement, forme une parenthèse un peu irréelle avant que le pianiste n’attaque sa transcription – très réussie - du Lacrimosa du Requiem de Mozart. Enchaînement magique de Scarlatti et d’une page où il fait cohabiter avec tact affliction et rage.

Les plus puristes auront sans doute été un peu surpris par la relative opacité et les couleurs saturées de L’Isle joyeuse. Sudbin imprime une dimension moussorgskienne à l’ouvrage de Claude de France. L’option est discutable, mais la cohérence avec laquelle il la défend tient l’auditeur en haleine ; l’énergie qui s’en dégage prélude bien à la 5ème Sonate de Scriabine qui referme le programme.

Fébrilité, timbres foisonnants, mystère et érotisme : sous des doigts aussi inspirés, l’Opus 53 est bien le pendant pianistique du Poème de l’Extase, son exact contemporain. L’engagement résolu et le souffle panthéiste que l’on y savoure montrent que si Sudbin a pris la nationalité allemande et s’est établi en Grande Bretagne, c’est bien à un pianiste russe que l’on a affaire. Plus, à l’un des tout grands de ce début de siècle.

La fête du piano et de la musique de chambre se poursuit jusqu’au 8 septembre à l’Orangerie. Après Adrien la Marca et Adam Laloum, Javier Perianes et Yossif Ivanov (le 31 /08), puis Kotaro Fukuma, Ismaël Margain et Elisso Bolkvadze (le 1/09), Les Solistes à Bagatelle accueillent Jean-Baptiste Fonlupt, Katia Skanavi et Laurent Korcia (le 7/09) et s’achèvent (le 8/09) avec Plamenga Mangova, Natalie Prischepenko et Lorenzo Soulès – ce sera l’occasion de découvrir (à 15h) ce jeune pianiste français, élève de Pierre-Laurent Aimard et 1er Prix du Concours International de Genève l’an dernier.

Alain Cochard

Paris, Orangerie du Parc de Bagatelle, 25 août 2013 Les Solistes à Bagatelle, jusqu’au 8 septembre 2013 : www.ars-mobilis.com

Site officiel de Yevgeny Sudbin : www.yevgenysudbin.com

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Photo : © Clive Barda
 

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