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Une interview du chef David Stern, fondateur et directeur de la compagnie lyrique Opera Fuoco – Les 20 ans d’une belle aventure

 

Le violon ? Sûrement pas… L’ombre géante de son père, le grand Isaac, plane sur l’instrument. Comme son frère aîné Michael, qui se produit aux Etats Unis, lui a préféré la baguette. On le retrouve dans son lumineux appartement parisien, dont une partie tient lieu d’atelier pour Opera Fuoco : clavecin, piano, permettent d’animer le travail effectué avec les jeunes chanteurs auxquels il fait aborder leur métier, et non seulement la technique vocale. David Stern rayonne quand il évoque ce travail de longue haleine, qui l’enchante, et qui s’est avéré fructueux. Une belle jeunesse pour la Compagnie, donc, qu’il a fondée en 2003, un anniversaire étincelant et un chef hors normes, aussi peu star que possible, et qui se raconte sans fard. Réjouissant échange à l’approche d’une soirée impatiemment guettée, le 9 avril, au Théâtre des Champs-Elysées.


 
Qu’a représenté pour vous la création d’Opera Fuoco ?
 
Un désir non seulement de jouer, mais aussi de construire des projets. J’ai moi-même un peu commencé comme chef de chœur, et les voix me touchent particulièrement. Hier, justement, nous avons fini d’auditionner les douze jeunes que nous ferons travailler pendant trois ans et parmi lesquels j’ai trouvé exactement ce qu’il fallait comme voix pour la Clémence de Titus, à laquelle nous allons nous atteler. Il y avait 230 inscrits, dont une grande quantité d’Anglais, qui sont en peine depuis l’instauration du Brexit.
Au début d’Opera Fuoco, nous étions en résidence au théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, puis à Levallois, et à ce jour, à l’Opéra de Massy, où nous produirons, outre un grand concert annuel, un opéra au printemps, ce qui est contractuel dans notre statut. Sans parler des récitals et masterclasses.
C’est une grande amélioration pour nous, que de pouvoir bénéficier des ressources techniques de cette belle maison, où je vais aussi aider à créer un Atelier lyrique, différent d‘Opera Fuoco, ce qui permettra à l’Opéra de Massy d’avoir un chœur. Nous allons aussi travailler en collaboration avec le Chœur de chambre de l’Opéra de Namur. Sur le plan orchestral, nous sommes douze, et une bonne partie fait partie de l’ensemble depuis quinze ans. Donc, une formation très stable, même si nous sommes des intermittents. Sur le plan budget, nous bénéficions de 30% de soutien public, 40% de mécénat et le reste d’autofinancement grâce aux recettes.
 

© Barbara Fromann 
 
Pour vos choix musicaux, à qui va votre préférence ?
 
Mes envies et mes nécessités sont très variées. Bien sûr j’adore de temps en temps jouer ailleurs, tranquillement, une belle symphonie de Brahms, avec une grande formation, ou conduire un chef-d’œuvre lyrique tel que Les Contes d’Hoffmann ou La Tosca à l’Opéra de Palm Beach, que je dirige : là, 2000 places, pas de questions à me poser sur la distribution ou le budget, les lumières, etc.
Mais il est essentiel pour les jeunes chanteurs que je coache  en France, d’avoir une autre approche du répertoire que celle des grands standards. S’ils sortent de leur période à Opera Fuoco en sachant Don Giovanni, c’est bien, mais ce n’est évidemment pas assez. Bien sûr Haendel, avec cette fois Hercules en version concertante, Mozart, aussi sont essentiels, avec notamment une version des Noces de Figaro réalisée pendant le Covid dans des conditions rocambolesques.
Mais nous travaillons aussi sur de presque inconnus, comme Simon Mayr (1763-1845), Allemand contemporain de Mozart, devenu italien et maître du tout jeune Donizetti. Sa façon de déployer les voix en fait le père du bel canto ! Et là, nous préparons une œuvre de William Boyce (1711-1779) moins méconnu, son Solomon, composé pendant que Haendel était à Dublin : une adorable serenata, très drôle, sur le Cantique des Cantiques, un vrai bijou ! Cela me rafraîchit, m’excite et permet aux chanteurs de varier les rôles, les répertoires et les langues, de Purcell à Kurt Weill et Bernstein. Et cette recherche touche aussi d’autres mondes : ainsi à Shanghai dont j’ai dirigé le Festival baroque, puisque mon père avait tissé avec la Chine des liens particuliers, et où je continue d’aller, mais sans Opera Fuoco depuis la pandémie : on m’y demandait du Cesti, et du Jommelli ! Et j’avoue que c’est le meilleur public du monde.
 

L'Orchestre d'Opera Fuoco © Benoît Auguste

 Que représente cet anniversaire ?
 
En fait, lorsque j’ai créé à Aix-en-Provence l’Académie Européenne, avec Stéphane Lissner,  j’ai eu envie de travailler avec des jeunes. Il y avait parmi eux un certain Stéphane Degout, dont on connaît la carrière fulgurante, mais mon désir de toujours a été et demeure l’envie de former des chanteurs qui possèdent leur métier et qui en vivent. Ils sont la base de l’existence de l’opéra. Je ne cherche pas à former des stars, mais à leur apprendre à être en harmonie avec leur corps. Les stars, il y en aura toujours, moi je coache, j’invite des anciens du groupe pour aider les nouveaux en masterclasses. Je fais découvrir la scène et ses impératifs, si différents de la simple technique vocale.
Ainsi pour le formidable Léo Vermot -Desroches, avec lequel j’ai monté La Bohême : il était tout à fait prêt pour chanter Rodolfo mais pas du tout pour le jouer. La production était parfaite car ils avaient pratiquement l’âge des rôles et cela compte beaucoup pour moi. Pour chanter Le Trouvère, peu importe, mais pour Roméo et Juliette par exemple, vous n’y adhérez que si les personnages sont physiquement crédibles. Léo chantera donc lors de cet anniversaire, dans le cadre des Grandes voix, dont la superbe Karine Deshayes sera la marraine : pour l’occasion j’ai groupé plusieurs de mes « petits » qui ont déjà fait carrière, car fête oblige. Mais nombre de mes jeunes viendront ensuite sur scène et il y aura peut-être des surprises venues de l’extérieur. Je n’en sais rien… Ce que dois dire absolument, c’est que  rien ne me fait plus plaisir que lorsque des jeunes que j’ai fait travailler et côtoyés réussissent. Je me sens leur papa…
 

David Stern et les chanteurs d'Opera Fuoco en 2021 
 
Votre vie, c’est donc l’Opéra ?
 
En fait, j’ai été formé au symphonique, et lorsque j’étais assistant au Châtelet et que je ne savais rien, j’ai travaillé avec Boulez, Gardiner, Dohnányi, et d’autres géants. C’est là que j’ai découvert le plaisir de voir la gestation d’un spectacle, et que j’ai pris goût au travail de répétitions, que j’adore vraiment. Je ne comprends pas comment certains chefs peuvent venir en coup de vent, repartir, revenir, tout en ayant des conflits avec le metteur en scène. En fait, j’estime que les parties doivent se rencontrer un an avant le spectacle, et se mettre d’accord afin d’aboutir à une vision commune. L’opéra est un art total où tout doit s’emboîter. Mais j’avoue que mon plus fort souvenir n’est pas un opéra, mais la version scénique du Chant de la Terre, créée en 2002 à l’Opéra de Rouen, et pour laquelle le génial Yoshi Oïda avait conçu une scénographie aussi bouleversante que sobre. Mon père venait de mourir, et cela m’a beaucoup aidé à accepter l’inévitable. Sinon, je le répète, je ne pourrai vivre sans l’opéra … et sans Paris, où j’habite depuis trente-quatre ans avec ma femme. Mon cœur est là, bien que mon grand-père y ait été pris par les collaborateurs français des nazis, et expédié à Auschwitz, dont il n’est évidemment pas revenu… Mais j’aime traverser la Seine …   
 
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 30 mars 2024
 

Les Vingt ans d’Opera Fuoco
Œuvres de Marcello, Telemann, Haendel, Haydn, Mozart, Mayr, Bellini, Gounod, Rossini & Offenbach
Avec Karine Deshayes, Cyrielle Ndjiki Nya, Chantal Santon-Jeffery, Vannina Santoni, Adèle Charvet, Natalie Perez, Léo Vermot-Desroches / Orchestre Opera Fuoco, dir. David Stern
 

9 avril 2024  – 20h
Paris – Théâtre de Champs-Elysées
lesgrandesvoix.fr/portfolio/opera-fuoco-tce-9-avril-2024/
 
Photo David Stern © Tom Watson

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