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Une interview d’Oliver Mears, directeur du Royal Opera House – Frisson lyrique sur grand écran en direct de Covent Garden

 
 
A la direction du Royal Opera House de Londres depuis mars 2017, Oliver Mears a contribué au développement de la diffusion des spectacles de la célèbre maison d’opéra anglaise dans les salles de cinéma du monde entier. Après Madama Butterfly, le ballet Mayerling, Aida et La Bohème, que l’on a pu découvrir depuis la rentrée, la saison se poursuit avec une forte présence de la danse. D’ici au début de l’année prochaine se succéderont : « The Royal Ballet : un anniversaire de diamant » (16 nov.), Casse-Noisette (8 déc.) et « Chocolat amer », ballet de Christopher Wheeldon (19 janvier). Suivront Le Barbier de Séville (15 fév.), Turandot (22 mars), Cendrillon (12 avril), Les Noces de Figaro (27 avril) La Belle au bois dormant (24 mai), Le Trouvère (13 juin). Autant d’exemples d’une active politique de retransmission, au sujet de laquelle Concertclassic a interrogé Oliver Mears.
 
Quel type de public cherchez-vous à atteindre avec les diffusions en direct du Royal Opera House ?
 
Notre programme de diffusion dans les cinémas touche des publics du monde entier, et nous permet d’apporter l’opéra et le ballet à ceux qui veulent avoir accès à notre travail  sans trop s’éloigner de chez eux, où qu’ils se trouvent. Notre but est d’encourager ceux qui ne connaissent pas ces formes d’art à assister à un de nos spectacles à titre d’essai, de donner aux  amateurs de longue date l’occasion de voir leurs productions préférées  dans leur propre région, et également de partager hors de Londres de nouvelles créations, afin que les classiques du futur soient goûtés et applaudis par des publics bien au-delà de la capitale.
 
Vous attendez-vous à ce que ces diffusions attirent surtout des néophytes, pour qui cela constituerait une découverte de l’art lyrique ?
 
Nous cherchons toujours à proposer quelque chose aux gens pour qui l’opéra est quelque chose de  nouveau et à la fois à ceux qui l’apprécient depuis des années. C’est ce que le cinéma nous aide à faire. Quand vous assistez à une représentation sur grand écran, c’est comme si vous occupiez la meilleure place du théâtre – vous pouvez observer la magie de près, et les productions (ainsi que les distributions) dans toute leur gloire. Pour cette raison, nos diffusions attirent réellement des gens de toutes sortes. Beaucoup de nos spectateurs de longue date vont au cinéma voir sur grand écran certains artistes en particulier, mais nous accueillons aussi  des nouveau-venus qui veulent  proposer à leur famille ou à leurs amis une formidable soirée.

La Bohème 

Pensez-vous que des œuvres comme Tannhäuser ou Rusalka, à l’affiche à Londres cette saison mais pas au programme des diffusions dans les cinémas, se révéleraient trop difficiles pour les néophytes ?
 
Pas du tout. Je pense qu’il vaut toujours mieux se rappeler que l’opéra est un genre d’une diversité incroyable, et que chaque production est unique. Il y a de quoi satisfaire chacun de nous dans le répertoire.
 
Avez-vous tendance à exclure des ouvrages plus sombres, comme Wozzeck ou Le Viol de Lucrèce ?
 
Le Viol de Lucrèce sera présenté sur scène cette saison au Linbury Theatre, notre petite salle plus intime. Nous n’avons encore jamais proposé de diffusion en direct du Linbury Theatre, mais c’est clairement une chose que nous aimerions envisager à l’avenir. Pour décider de quelles productions nous allons présenter dans les cinémas, nous raisonnons généralement moins en fonction de la couleur de l’ouvrage, et nous nous demandons plutôt ce qui passera le mieux à l’écran. Nous tenons à offrir une programmation échelonnée tout au long de l’année, pour que nos équipes de tournage ne soient pas débordées, et que notre public ait un écho de la saison entière. Et nous savons aussi qu’il est essentiel de montrer les différents aspects de notre compagnie: des productions très attendues, comme Le Trouvère et Aïda, ainsi que la reprise d’œuvres phares, qu’elles soient comiques ou tragiques.
 

Oliver Mears © Sim Canetty-Clarke 
 
Est-ce la raison pour laquelle vous vous concentrez sur le cœur du répertoire, des Noces de Figaro à Turandot, en excluant tous les titres plus anciens (votre nouvelle Alcina, par exemple) ou plus récents, et avec beaucoup de Verdi et de Puccini ?
 
Aïda est une œuvre centrale du répertoire, mais la production de Robert Carsen offre une interprétation nouvelle et saisissante de l’opéra de Verdi. Je suis sûr qu’Adele Thomas fera également des merveilles avec Le Trouvère. Les opéras de Verdi et de Puccini passent toujours très bien sur écran parce qu’ils sont remplis de moments mémorables, mais si vous cherchez des œuvres du XVIIIe siècle, nous proposons aussi Les Noces de Figaro fin avril dans les cinémas.
 
Les distributions influent-elles sur vos choix ?

Nous réunissons toujours les meilleurs artistes possibles. Nous savons que les grands noms attirent beaucoup, et il n’y a pas de raison pour que quelqu’un hors de Londres n’ait pas l’occasion de voir et d’entendre des artistes comme Danielle de Niese ou Juan Diego Flórez. Cela dit, nous voulons aussi permettre à des artistes prometteurs de s’essayer à de nouveaux rôles. Il arrive que l’on voie des artistes accéder à la gloire après une première – comme le ténor Freddie De Tommaso après Tosca la saison dernière – et c’est une grande joie de voir leur carrière décoller. L’avantage d’une diffusion dans les cinémas, c’est que beaucoup plus de gens assistent à de tels moments.
 
Privilégiez-vous les productions plus traditionnelles, afin qu’un public moins familier de l’opéra ne soit pas trop désorienté ?
 
Comme je l’ai dit, nous essayons de trouver un équilibre. Si les productions traditionnelles reviennent d’année en année, il y a une bonne raison à cela : les gens qui les ont vues veulent les revoir, et ceux qui n’ont jamais vu un opéra se laissent davantage tenter par ces spectacles. Certains ouvrages sont connus de ceux qui connaissent rien à l’opéra, simplement parce que des airs ont été utilisés par la publicité, le cinéma ou le sport. Mais les nouvelles productions, bien qu’il soit parfois plus difficile de convaincre les néophytes d’y assister, peuvent également être une formidable introduction à l’art lyrique. Elles réussissent parfois à refléter quelque chose d’unique, elles offrent un spectacle neuf, enthousiasmant et inoubliable.
 

Madama Butterfly 
 
Limitez-vous le nombre de nouvelles productions parmi les diffusions en direct ?
 
Cela varie d’une année à l’autre, mais en fait, non. Nous voulons avant tout partager notre travail, et offrir au maximum de gens la possibilité de le découvrir, que notre théâtre à Londres affiche complet ou non. Nous savons que proposer de nouvelles productions contribue à faire voir l’opéra comme une forme artistique dynamique, en évolution constante, et qui s’adapte à notre monde contemporain. Mais certaines de nos productions sont toujours très bien reçues, et les gens nous les redemandent d’année en année. Il est important de présenter dans les cinémas ces spectacles qui plaisent au plus grand nombre, donc nous essayons de maintenir un équilibre.
 
Est-ce une choix délibéré de n’inclure aucune première mondiale (contrairement à ce que fait le Met dans la série “Live in HD”, par exemple ?
 
Ce n’est pas un choix délibéré, et en fait ce n’est pas vrai ! Je suppose que par “première mondiale” dans les cinémas, on peut désigner la première représentation d’une œuvre nouvelle ? Eh bien, dans ce cas, le Royal Opera House propose cette année The Royal Ballet : A Diamond Celebration, qui inclut trois premières mondiales absolument inédites, par quelques-uns des plus importants chorégraphes d’aujourd’hui. Par ailleurs, Mayerling – même si ce n’est pas une nouvelle production – aura été diffusé le soir de la première pour la première fois, et le Royal Opera partage deux nouvelles productions quelques semaines après leur première : Le Trouvère monté par Adele Thomas, et Aïda par Robert Carsen. Cette saison, les gens qui iront dans les cinémas pourront ressentir le frisson d’un soir de première et découvrir quelques-uns des meilleurs nouveaux spectacles présentés à Covent Garden.
 
Propos recueillis et traduits par Laurent Bury, le 7 octobre 2022
 

Saison Cinéma 2022-2023 du Royal Opera House : www.royaloperahousecinema.fr/cinema-sea
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Prochaine diffusion : "The Royal Ballet : un anniversaire de diamant", le 16 novembre 2022 à 20h15
 
 
Photo © Sim Canetty-Clarke

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