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Une interview d’Annick Massis, soprano - Le beau chant mais pas seulement

Après Eudoxie dans La Juive en 2007, Bastille l’accueille enfin à nouveau pour l’Infante du Cid de Massenet, dans une mise en scène de Charles Roubaud et sous la baguette de Michel Plasson (du 27 mars au 21 avril). Annick Massis finira-t-elle par être prophète chez elle ? On l’espère, d’autant qu’en parallèle avec ce retour sur la scène parisienne elle aborde le récital de mélodie pour la première fois. Rencontre avec Annick Massis, une des belcantistes majeures de ce début du XXIe siècle
 
Vous allez interpréter l’Infante dans le Cid de Massenet. C’est une prise de rôle si je ne m’abuse ?

Annick MASSIS : Oui. J’ai tenu à le faire car c’est pour moi un retour à l’Opéra de Paris, certes dans un rôle modeste au regard de ceux que j’ai l’habitude d’interpréter, mais à la Bastille on est toujours certain de la qualité artistique et j’étais heureuse de retrouver un ouvrage de Massenet pour la troisième fois cette saison.

Parlez nous de votre rapport à l’opéra français, romantique ou moderne d’ailleurs. J’ai le souvenir de vous dans un ouvrage et un rôle où je ne vous attendais pas forcément, l’Andromède du Persée et Andromède de Jacques Ibert…

A.M. : On me demande relativement peu ce type de musique, mais lorsque John Latham-Koenig me l’a proposé j’ai littéralement sauté sur l’occasion, cette musique c’est notre culture, notre tradition musicale française et il nous appartient de la mettre en valeur, d’ailleurs cette œuvre est délicieuse, ceci dit, si je devais la rechanter aujourd’hui, je le ferais certainement d’une manière très différente.
 
Derrière la perfection de votre chant j’entends toujours votre attention à la psychologie des personnages  - c’était flagrant dans votre interprétation d’Andromède dont le caractère est si capricieux. Est-ce une donnée première de votre travail sur les rôles ?
 
A.M. : Oui, bien entendu, j’apprécie que vous y soyez sensible. Lorsque l’on va à l’opéra on n’attend pas seulement la beauté du chant, on veut voir un personnage, éprouver un drame. Lorsque je chante l’Infante, la psychologie du personnage, le style vocal mis en œuvre sont totalement différents de ceux d’une Traviata ou d’une Lucia.
La psychologie, le ressort dramatique c’est ce qui fait l’intérêt d’aborder de nouveaux rôles, de chercher à comprendre et à transmettre les émotions et le caractère de nouveaux personnages. Pour ce qui est du caractère de l’Infante,  je l’avais en quelque sorte déjà effleuré en abordant l’Eudoxie de La Juive d’Halévy, elle aussi un personnage laissé pour compte, bien que l’Infante ne se dévoile pas jusqu‘au point où le fait Eudoxie. Assez curieusement l’écriture de ces deux rôles n’est pas si éloignée que cela, ce qui m’ a étonné lorsque j’ai ouvert la partition du Cid. Juste avant, Massenet avait composé Manon, et après arrivent Hérodiade, Esclarmonde, Thaïs. Avec  l’Infante, j’ai le sentiment à la fois d’un compositeur qui commence et en même temps envisage ce que son art vocal va devenir au XXe siècle, c’est en cela un rôle décidément particulier.

Evidemment, l’autre domaine de prédilection de votre art reste le belcanto italien. Lorsque l’on se confronte à Violetta, est-ce un point de non retour, une apothéose, où la porte d’entrée vers de nouveaux horizons vocaux ?

A. M. : Cela dépend de chacun. J’ai pris mon temps. J’étais consciente des enjeux, de l’évolution de ma voix, il y a vingt ans Violetta était impossible pour moi,  même si j’y songeais. Une apothéose, oui Violetta est cela car lorsque l’on a parcours comme le mien - comme vous le savez j’avais à mes débuts une voix extrêmement légère - parvenir jusqu’à Violetta, jusqu’à Lucia c’est extraordinaire, c’est véritablement l’aboutissement d’un travail vocal et aussi d’un travail sur soi-même, mais je ne m’arrêterai pas là. La Traviata m’aura permis d’aborder Moïse et Pharaon puis la Mathilde du Guillaume Tell de Rossini qui sont des opéras plus lourds, et des rôles aux tessitures plus amples.
Ces expériences  m’ouvrent des horizons nouveaux. Je veux désormais aborder les reines donizettiennes, quelques autres Massenet, un répertoire plus lyrique. Les reines donizettiennes, j’y reviens, sont vraiment mon nouveau but, je suis prête vocalement, et j’en saisis la complexité psychologique.
Mathilde a été une véritable expérience car mis à part le premier air, “Sombre forêt“ où je m’appuie sur une solide technique belcantiste, Rossini a orchestré son opéra assez lourdement. Le deuxième air demande un chant virtuose, une agilité dont il ne faut jamais retrancher le corps médian de la voix, littéralement, il faut nourrir la virtuosité des traits avec le medium, lui donner une assise, une profondeur, car tout cela est très orchestré.

Qui vous a appris cette technique de belcanto que je n’avais pas retrouvée depuis Mariella Devia ?

A.M. : Mariella Devia ! Vous me faites beaucoup d’honneur. Pour répondre vraiment à votre question, je ne sais pas. D’abord, pour moi « la » Devia est dans le panthéon des grandes, une des rares qui ait pris la succession de Sutherland, de Callas. Ensuite, je dois certainement beaucoup à ma curiosité. Très jeune j’ai écouté beaucoup de disques grâce à mes parents qui se sont pourtant opposés à ce que je fasse du chant ma vie. Je me souviens qu’avant de débuter, en écoutant certains chanteurs, je me disais : « ah mais moi je ne ferais pas cela de cette façon, pourquoi ne fait-elle pas plutôt comme cela ». Toutes ces écoutes avaient développé un sens critique alors que j’étais encore enfant, en somme une sorte de « préconnaissance », de préscience.

Plus tard, j’ai été assez boulimique. Voyez tous les ouvrages que j’ai enregistrés pour Opera Rara, des curiosités. J’ai commencé à aborder le répertoire de la soprano lyrique plus tard que bien d’autres, il fallait que je me rattrape.  J’ai abordé avec gourmandise le XIXe siècle français, je suis allée vers le baroque car c’était tout un pan de culture qui me manquait, ensuite je suis retournée vers le belcanto, j’ai gardé cette curiosité qui m’avait guidée durant mon enfance.
Cette recherche a produit une accumulation de savoirs, de diversité technique – par exemple j’ai appris l’art du trille en fréquentant la musique vocale baroque française – pour parvenir à ce que je voulais entendre dans chaque rôle, dans chaque mélodie. Je ne suis pas parvenue à tout ce que je voulais. J’ai assumé une très grande exigence par rapport à l’idée que je me faisais de mon art. Cela n’a pas été sans souffrance, sans une certaine tentation de l’autodestruction qui m’a poursuivie durant une grande partie de ma carrière.
Aujourd’hui je pense avoir surmonté ce péril qui a été porteur en me poussant à chercher sans arrêt, à aller plus loin, à me questionner sur le style, sur la vérité des personnages, sur la vraie nature de ma propre voix. Je suis comme un artisan travaillant la glaise, inlassablement, je cherche le geste juste.

Mais vous aimez aussi la mélodie. Parlez nous du récital que vous allez donner, j’y vois annoncés, entre autres, des Messiaen rares.

A.M. : C’est une première pour moi, je n’avais jamais donné de récital de mélodies jusqu’alors, et j’avais envie d’aborder des œuvres peu courues. Je n’avais jamais chanté Messiaen, sa musique me fascinait et m’effrayait tout à la fois. Il fallait que je saute le pas. J’ai choisi ces trois mélodes en espérant un jour aborder Poèmes pour Mi. Leur ton mystérieux, évanescent, pas si loin que cela du dernier Debussy m’intriguait, avec elles j’avais envie de surprendre d’emblée les auditeurs. Puis de revenir avec des mélodies plus connues signées Reynaldo Hahn ou Debussy. Avant de les reconduire vers des pages plus rares, comme cette mélodie de Paladilhe dont je suis tombé amoureuse. En deuxième partie j’ai voulu faire un clin d’œil à mon public habitué au répertoire lyrique, aux ouvrages de Gounod, Puccini, Catalani et lui faire découvrir des mélodies de ces auteurs. Le familier et l’inconnu tout ensemble. 

Propos recueillis par Jean-Charles Hoffelé le 14 février 2015
 
Massenet : Le Cid
27 et 30 mars ; 2, 6, 9, 12, 15, 18 & 21 avril 2015
Paris – Opéra Bastille
http://www.concertclassic.com/concert/le-cid-massenet

Récital (avec Antoine Palloc, piano)
Œuvres de Messiaen, Hahn, Debussy, Liszt, Thomas, Paladilhe, Verdi, Gounod, Puccini, Bellini, Catalani, Arditi
Paris – Amphithéâtre de l’Opéra Bastille
29 avril 2015 – 20h
https://www.operadeparis.fr/saison-2014-2015/convergences/annick-massis-antoine-palloc?genre=3

5 mai 2015 – 20h
Strasbourg – Opéra national du Rhin http://www.operanationaldurhin.eu/recital-2014-2015--annick-massis.html

Photo © Gianni Ugolini

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