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​Le Quatuor Voce à l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille – Effusion poétique – Compte-rendu

 
« Poétique de l’instant II » : l’intitulé du récent concert du Quatuor Voce à l’Amphi-Bastille reprenait celui du second volet d’un projet discographique entrepris (chez Alpha Classics) par une formation qui, au trop prévisible couplage des Quatuors de Debussy et Ravel, a préféré une solution différente. Et aussi originale que judicieuse ! Si une décennie seulement sépare les deux ouvrages (1893 – 1903), leur rapprochement systématique tend à faire oublier tout ce qui les différencie – à faire oublier, aussi, le troisième grand quatuor français du tournant du siècle : le 1er Quatuor en mi mineur op. 112 (1899) de Saint-Saëns, chef-d’œuvre sous-estimé s’il en est (1). Les Voce ont préféré imaginer un programme autour de chacun des deux ouvrages.
 
Après « Poétique de l’instant I », qui associait le Quatuor de Debussy aux Proses lyriques (par Jodie Devos, dans un arrangement pour voix et quatuor d’Yves Balmer), à la Sonate pour flûte, alto et harpe (avec Juliette Hurel, Guillaume Becker, Emmanuel Ceysson) et à une création d’Y. Balmer, Fragments soulevés par le vent, « Poétique de l’instant II » (2) procède de façon identique avec le Quatuor de Ravel. Celui-ci est entouré de l’Introduction et Allegro pour flûte, clarinette, harpe et quatuor (les Voce y retrouvent Juliette Hurel et Emmanuel Ceysson, rejoints par le clarinettiste Rémi Delangle), d’une transcription de Ma Mère l’Oye (signée E. Ceysson, avec l’effectif de l’Introduction et Allegro) et d’une commande des Voce à Bruno Mantovani : son 5Quatuor.
 
© Concertclassic
 
Avec les mêmes partenaires qu'au disque, le Quatuor Voce (Sarah Dayan, Cécile Roubin, Guillaume Becker et Lydia Shelley) a fêté la sortie de « Poétique de l’instant II » en concert, en reprenant à l’identique le programme du nouvel enregistrement. Le Quatuor de Ravel est un compagnon de longue date d'une formation qui fêtera les 20 ans de sa fondation l’an prochain. Et cela se ressent ! : aucune précipitation dans l’ Allegro initial ; on aime cette souplesse, cette poésie effusive, autant que la vie intérieure de l’Assez vif-Très rythmé, le secret nuancé du mouvement lent ou la vitalité ferme et maîtrisée du Vif et agité.

Quelle riche idée ont eu les Voce en demandant à Emmanuel Ceysson de transcrire Ma Mère l’Oye pour l’effectif de l’Introduction et Allegro ! L’azur de la flûte, l’ambre-et-or de la clarinette, les bulles de rêve et les glissendi sensuels de la harpe alliés aux cordes : ce sont là des conditions idéales pour traduire les atmosphères de l’ouvrage. Emmanuel Ceysson est parti de la version orchestrée par le compositeur, en cinq numéros (qui délaisse les deux premiers du quatre-mains originel). Impossible ne pas fondre de bonheur face à la subtilité des coloris, la justesse des caractères et le prégnant onirisme du résultat ... On aimerait que le harpiste-transcripteur poursuive dans la voie qu’il a si heureusement empruntée là et s’intéresse à certains épisodes de Daphnis et Chloé ...

 

© Concertclassic

Changement de climat avec le Quatuor n° 5 de Bruno Mantovani – en création mondiale – spécialement conçu pour s’intégrer dans le programme ravélien des Voce. Le compositeur avoue s’être inspiré de « l’harmonie toujours mouvante » du premier mouvement du Quatuor de Ravel pour concevoir une prenante pièce en forme de canon qui s’apparente à un fondu enchaîné permanent – une manière de morphing sonore – que les quatre archets traduisent d’une manière aussi précise qu’ondoyante et hypnotique.
Ravel a le mot de la fin avec l’Introduction et Allegro, réalisation postérieure de deux ans au Quatuor, aussi merveilleuse que rare en concert du fait de la singularité de son instrumentarium. On ne goûte que plus l’entente entre les sept instrumentistes, fusionnelle et radieuse.

 
Alain Cochard

 
(1)  On ne néglige pas pour autant le Quatuor op. 121 de Fauré, nettement plus tardif toutefois (1924)
(2)  1 CD Alpha Classics / ALPHA 933

Paris, Opéra Bastille, Amphithéâtre, 4 juin 2023
 
Photo Quatuor Voce © Sophie Pawlak

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