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Iphigénie en Tauride selon Robert Carsen au Théâtre des Champs-Elysées - Gaëlle Arquez consacrée par Iphigénie - Compte-rendu

Trois hauts murs noirs, quelques rais de lumière, une stèle et des épées, voilà ce à quoi se résume la scénographie de l'Iphigénie en Tauride proposée actuellement au TCE. C'est peu, mais bien suffisant pour Robert Carsen qui signe l'un de ses plus beaux spectacles (1). Sacrifiée par son père Agamemnon à la déesse Diane, la prêtresse Iphigénie vit recluse en Tauride soumise à la violence de Thoas qui la contraint à tuer tout étranger arrivant sur ses terres. Vêtue de noir comme ses sœurs d'infortune qui l'entourent et la secourent, Iphigénie rêve de retrouver les siens, mais les noms de son père et de sa mère Clytemnestre, écrits en lettres blanches sur les parois de son île-prison, seront un à un effacés à l'annonce de leur mort (sur une musique additionnelle placée à la suite du célèbre « O malheureuse Iphigénie » à l’acte II). Vouée à la douleur, à la pénombre, au deuil, aux massacres sempiternellement perpétrés autour d'elle et à la mort de son propre frère Oreste, naufragé avec Pylade sur les rivages de Tauride, Iphigénie doit choisir sa prochaine victime. Hanté par l'assassinat de son père des mains de sa mère, Oreste après s'être vengé en exécutant celle qui l'avait mis au monde, a laissé sa sœur Electre avant de fuir. Halluciné par son geste, il accepte de mourir à la place de Pylade avant qu'Iphigénie ne le reconnaisse ...
 

Séphane Degout (Oreste) © Vincent Pontet
 
Puisant dans son vocabulaire scénique et les images luxueusement épurées qui ont fait sa force, Carsen compose un tragique et sanglant ballet que viennent rehausser de somptueux passages chorégraphiés par Philippe Giraudeau, où les corps s'entrechoquent et se disloquent tantôt dans d'irréels combats, tantôt pour former de rampantes et angoissantes Euménides.
 
D'une souveraine beauté, Gaëlle Arquez triomphe dès les premières notes du rôle d'Iphigénie, chaste fille de Latone qui lentement se consume, abandonnée des siens. Son irréprochable diction, l'intensité de son chant irisé où se lisent toutes les peines endurées par la captivité, ainsi que la ferveur de ses accents d'une rare amplitude en font la digne héritière de Mireille Delunsch, Véronique Gens ou Anna Caterina Antonacci. Dans le rôle d'Oreste qu'il habite avec une fougue et une énergie peu communes, Stéphane Degout fait frissonner l'assistance, chanteur-acteur totalement investi (et ce depuis son interprétation remarquée dans la version Warlikowksi donnée au Palais Garnier), dont la personnalité écrasante fait de l'ombre à celle de Paolo Fanale, Pylade à l'expression anodine, Alexandre Duhamel (Thoas) luttant contre un diapason trop élevé pour sa tessiture.
Auteur d'une magnifique lecture d'Orphée et Eurydice (celui de Pina Bausch publié en DVD par Bel Air), Thomas Hengelbrock confirme ses affinités avec la musique de Gluck, insufflant aux membres de son Balthasar-Neumann Ensemble une remarquable plénitude sonore, tout en instaurant un courant continu qui parcourt l'ouvrage, ravivé par de constants contrastes et une relance permanente du discours. Une soirée que l’on gardera précieusement à l’esprit.

François Lesueur

 (1) Il a été créé à Chicago en 2006 

Gluck : Iphigénie en Tauride – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 22 juin ; prochaines représentations les 26, 28 et 30 juin 2019 // www.concertclassic.com/concert/iphigenie

© Vincent Pontet

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