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Festival Bach en Combrailles 2023 – Vous avez dit relevage ? – Compte rendu

 
Impossible de concevoir un festival Bach digne de ce nom sans un orgue à la hauteur. Lequel n'existait pas dans les Combrailles (Auvergne) lors de la création de ce rendez-vous insolite et unique en France, rural et itinérant, adoubé par la Neue Bachgesellschaft de Leipzig (1). On sait l'incroyable histoire de l'orgue Bach de Pontaumur (2), copie du Wender (1703) dont le tout jeune Johann Sebastian fut titulaire à Arnstadt. Inauguré en 2004, l'orgue Delhumeau avait besoin d'un relevage, mené à bien pour cette 24édition. Les travaux ont porté sur la cohérence structurelle et technique de l'instrument, partie confiée au facteur Denis Marconnet, cependant que l'harmonisation revenait au magicien Jean-Marie Tricoteaux. Plus typé et racé que jamais, l'orgue y a indéniablement gagné en équilibre, homogénéité et présence altière, notamment quant à l'intégration des plans de mixtures. La trompette, désormais également pleinement soliste, rayonne de souplesse de timbre et d'attaques, le posaune de pédale renonçant à dominer pour mieux soutenir et colorer dans l'harmonie.
 

Thomas Kientz devant l'orgue de Pontaumur © Bach en Combrailles - Anthoine Thiallier
 
Quatre improvisateurs à l’œuvre
 
Pour fêter cette cure de jouvence en forme de véritable achèvement (de l'harmonie) et toujours dans la tradition des auditions de midi, Vincent Morel, directeur artistique depuis 2017, a convié quatre grands noms de la jeune génération, invités à penser leur programme à la fois sous le signe de l'improvisation et de l'œuvre refermant le Festival : la Passion selon saint Jean (A nocte temporis, Chœur de chambre de Namur, Reinoud Van Mechelen, direction et Évangéliste – un non moins traditionnel Café-Bach, la veille à 10 heures du matin, était consacré, guidé par la soprano belge Hélène Richardeau, chef de chœur et organiste, à l'apprentissage par le public de quatre des chorals de l'ouvrage, public par ailleurs invité à participer lors des auditions d'orgue). Ainsi se succédèrent aux claviers, du mercredi au samedi, improvisant dans le style baroque et/ou contemporain, Thomas Kientz (Saint-Maurice, Suisse), Baptiste-Florian Marle-Ouvrard (photo), Saint-Eustache, Paris – qui donna une ampleur inédite, quasi romantique, à la riche palette des jeux de fonds de Pontaumur), Samuel Liégeon (Saint-Pierre de Chaillot, Paris – dont une fascinante Toccata, adagio et chaconne, le dernier membre de ce triptyque improvisé puisant dans son rythme obstiné une force exceptionnelle), enfin David Cassan (Oratoire du Louvre, Paris), tous se faisant l'écho de la Passion selon saint Jean.
 

 
Hommage à la nuit
 
Si diversité et inventivité sont les maîtres mots de Bach en Combrailles, la fidélité y est aussi une vertu prisée. Ainsi Jean-Luc Ho (en résidence en 2017-2019), désormais cotitulaire du célèbre Riepp-Callinet de Dole (Jura), est revenu, touchant d'autres claviers, à l'occasion de la parution chez L'Encelade de sa gravure des Variations Goldberg, monument vers lequel il s'est frayé un chemin via L'offrande musicale, qui lui avait révélé ce qu'en fait il préfère et le fascine : les canons, dimension ésotérique, mystérieuse et savante tout aussi consubstantielle des Goldberg. Il en restitua au clavecin, au Montel de Gelat, avec bravoure et toujours sur le fil de l'expérience sur le vif, tant l'architecture générale que la singularité de ses composantes, captant sans faille l'attention du public sur l'entière durée du cycle. À Puy-Saint-Gulmier en fin de soirée, unique Nocturne aux bougies de cette édition, il offrait un second concert délicieusement aventureux, au clavicorde, chantre de l'intimité : Murmures et Méditation, hommage à la nuit entre veille et sommeil onirique, de Froberger à Merula, de Bach père (Fantaisie chromatique !) et fils (CPE, pièces de caractère), jusqu'aux valeureuses Cento partite sopra Passacagli de Frescobaldi. Quand le discret clavicorde respire l'air des grands.
 
 

Matthieu Camilleri © Bach en Combrailles - Anthoine Thiallier

Panache et faconde

Le cru 2023 fait également la part belle au violon solo ou chambriste. Très impressionnant récital de Matthieu Camilleri à Châtel-Guyon, rejoignant la thématique de l'improvisation : son propre univers (son site Internet est sous-titré « musique baroque ex tempore »), ici autour du choral Christ lag in Todesbanden, discrètement suggéré dans la Chaconne de la Partita en mineur BWV 1004. D'où l'incitation à en relier les mouvements par différents types d'improvisation, oscillant avec panache et faconde entre Biber et Bach, jusqu'à la vertigineuse Chaconne, le tout servi par une sonorité aussi imposante qu'extraordinairement intelligible, à l'aisance immaculée répondant une élévation mais aussi une chaleur du jeu tout simplement irrésistibles.
 

L’Harmonie des Batailles
 
L'Ensemble Artifices, en résidence à Bach en Combrailles et emmené avec éclat, charme et une très musicale vitalité par Alice Julien-Laferrière, violon et direction, offrit à Bromont-Lamothe un programme intitulé L'Harmonie des Batailles, avec violon principal, second violon, viole de gambe, clavecin et orgue, soit une restitution totalement réinventée d'œuvres italiennes et allemandes du XVIIe siècle dont les titres suggèrent l'ardeur guerrière. Où le violon se fait trompette sonore et percutante. Formidable concert rehaussé d'une abondante partie de percussions, avec timbales, pour une évocation quasi picturale, par Adrien Pineau. L'un des programmes les plus originaux du Festival, ce qui n'est pas peu dire, avec ce contact direct avec le public, par la parole, qui aussitôt crée un lien de sympathie. Occasion de rappeler que l'une des composantes majeures de ce Festival est aussi son public, lequel s'est fait une réputation de qualité d'écoute et d'enthousiasme prisés des musiciens – s'y ajoute cette année une fréquentation exceptionnelle, la plupart des concerts affichant complet.
 
Programme polyglotte
 
Deux autres programmes associaient violon principal et voix. La Nature ? « Latte et Miele » (Bach, Rameau, Campra, Keiser, Marcello, Facco, Lampe, Vivaldi, Boyce…) était proposé à Pontgibaud par Opera Fuoco, que dirigent le chef d'orchestre David Stern (qui présentait avec esprit et enjouement le concert) et Katharina Wolff (depuis son archet). Programme polyglotte intense et séduisant, centré sur les joies et peines d'amour, joliment structuré et constitué d'airs avec instruments obligés – violon, flûte, violoncelle – interprétés avec fraîcheur et aplomb par Anna Cavaliero (soprano), Sophia Stern (mezzo-soprano) et Benoît Rameau (ténor), auxquels le public fit un triomphe qui sembla presque surprendre les musiciens… L'autre, à Riom, confrontait des cantates et musiques instrumentales de Bach et de Graupner (dont une cantate sur un même texte), l'ensemble Capricornus Consort Basel et la soprano Miriam Feuersinger étant placés sous la gouverne du violoniste hongrois Peter Barczi. La singularité de ce concert était aussi de faire entendre des arrangements pour cordes particulièrement convaincants d'œuvres pour orgue de Bach : Fantaisie et fugue en sol mineur BWV 542, Choral Nun komm, der Heiden Heiland BWV 659, Pièce d'orgue BWV 572… – le langage de Bach, un et multiple, passant sans coup férir d'une traduction instrumentale à l'autre, stimulant chaque fois l'écoute, autrement.
 

Denis Comtet & le Chœur Hémiola © Bach en Combrailles - Anthoine Thiallier

Hommage à Théodore Monod
 
En termes d'originalité et de mixité temporelle, le concert donné à Herment sous la direction de l'organiste (Saint-François-Xavier, Paris), chef de chœur et d'orchestre Denis Comtet et le Chœur Hemiola occupe une place à part. En forme d'hommage à l'humaniste Théodore Monod (1902-2000), dont on entendit à plusieurs reprises la voix si pleine de vie et de sagesse captée lors d'émissions et interviews, la soirée fit se répondre Michael Praetorius et Jan Sandström (*1954) : Es ist ein Ros entsprungen / Det är en ros utsprungen, Purcell et Mendelssohn – grandiose et bouleversant Hör mein Bitten, avec la soprano Emilie Rose Bry. Une œuvre lumineuse pour chœur et orgue commandée par l'ensemble à Lise Borel, Astra, créée en juin dernier sur des textes de Théodore Monod en français, latin, araméen et arabe, apporta dans sa généreuse pluralité d'approche vocale un réjouissant vent de fraîcheur. Deux motets de Bach encadraient ce programme : Komm, Jesu, komm BWV 229 (double chœur à huit voix solistes) et Lobet den Herrn alle Heiden BWV 230 (chœur simple à quatre voix), disant à merveille l'excellence du Chœur Hemiola, souverain dans ce répertoire des plus exigeants.
 
Rendez-vous est d'ores et déjà pris en 2024 pour fêter les vingt ans de l'orgue de Pontaumur et les vingt-cinq ans de Bach en Combrailles.
 
Michel Roubinet

 

 Festival Bach en Combrailles, concerts des 9, 10 & 11 août 2023
www.bachencombrailles.com/xxive-festival-bach-en-combrailles/programmation-2023/
 
 
 
(1) Neue Bachgesellschaft (France)
www.neue-bachgesellschaft.de/?lang=fr
www.bachencombrailles.com/wp/wp-content/uploads/2021/08/ef-ds-nbg-mitteilungsblatt-87-bachmagazin-36-franz.pdf
 
(2) Historique de « l'orgue Bach » de Pontaumur
www.concertclassic.com/article/festival-bach-en-combrailles-un-pont-musical-entre-thuringe-et-auvergne-compte-rendu

 

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