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Démonstrations de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris – Grâce et brio – Compte-rendu

 
 

La gardienne du temple ! Inoxydable Elisabeth Platel, dans sa grâce de ballerine classique pénétrée jusqu’au moindre sourire de l’importance de sa mission et de la beauté intemporelle de l’expression artistique qu’elle incarne mieux que tout autre : après une carrière d’étoile hors nomes, emblématique du grand style classique, et un engagement passionné auprès des enfants qui maintiendront cette tradition qu’elle défend bec et ongles. Mais avec une classe et une élégance souriantes qui ont quelque chose de réassurant. Directrice de l’Ecole où régna la tempétueuse Bessy, laquelle eut, en 1977, l’idée de ces démonstrations annuelles, Platel a dû affronter les aléas de l’actualité face à des jeunes désemparés, inquiets sur leur avenir, certains doutant peut être de leur vocation.
 
Elle a serré les cordons, tenu face aux problèmes posés par grèves, virus et autres vents mauvais d’une actualité prête à tirer sur tout à boulets rouges, face aux questions des parents et des professeurs, sans parler de l’angoisse des enfants : voici donc, alors que le dernier spectacle avait eu lieu en 2018, ce bataillon de jeune garde, porté par des rêves de beauté et de mouvements exaltants, qui vient, sous la houlette de ses professeurs, montrer ce dont il est capable, en respect total d’un héritage fragile mais qu’il a à cœur de défendre. Les plus petits sont évidemment nouveaux, quelques professeurs ont changé, mais le cérémonial demeure, identique, sacramentel, avec juste sur ces jeunes figures un masque qui rappelle douloureusement l’actualité. Un masque parfois enlevé, parfois accroché, sans qu’on comprenne bien les raisons, il faut l’avouer.
 
© Francette Levieux - EdD-OnP
 
Lorsque le rideau se lève, avec le beau Karl Paquette aux commandes, on craque : même si pour cette deuxième séquence de démonstrations du mois, seuls trois enfants ont pu participer, le Covid ayant frappé le reste de la 6division garçons. Ils sont cramponnés à leur barre, ayant la lourde tâche de commencer, et manifestent une concentration, une application qui font fondre. L’angelot de l’année étant un gamin bouclé et filiforme, aux muscles naissants mais doté d’une aisance et d’un placé qui paraissent tout naturels : des cous de pieds aussi sortis à ce jeune âge, un en dehors déjà presque parfait alors qu’il faut tant de douleurs, souvent, pour l’obtenir, voilà un coup de baguette magique d’une marraine-fée intéressée par ce bambin.
Reste l’avenir, celui de la présence, de l’intelligence de la scène, et dont l’absence ne peut être comblée par l’excellence du placé. A suivre donc.
 
Puis tout s’enchaîne, du caractère à l’académique et au légèrement contemporain(avec de biens beaux costumes noirs et verts qui mettent ces jeunes silhouettes en valeur), du lent au rapide, de la botte rouge au chausson, qui n’intervient que dans les dernière divisions, du mime vivant et sympathique aux terribles pirouettes et sauts, jusqu’à l’ensemble final, où le but est touché, puisque arrivent les difficiles portés, qui relient garçons et filles et font de leur pas un échange et non plus une galerie d’attitudes. Après les purs mouvements, voici la Danse, et Wilfrid Romoli, comme toujours, en est le maître ordonnateur. Cette année, parmi les personnalités diverses des professeurs, on a savouré la vigueur, le caractère animé et ludique d’un Yann Saïz que le public regrette mais que l’Ecole a heureusement récupéré, et au piano, on admire le talent de Laurent Choukroun, qui, loin du ronron des habituels accompagnateurs, offre une vraie interprétation des pièces choisies pour porter les danseurs. On apprécie aussi, grâce à de petites chorégraphies qui donnent plus de légèreté à l’austérité des parcours, des rappels de grands professeurs qui ont marqué l’Opéra, de Claude Bessy à  l’étoile Christiane Vaussard dont l’enseignement est resté célèbre.
 
Evoquer le niveau, le style de l’ensemble de l’Ecole, voilà qui demeure aléatoire, car ces jeunes gens évoluent sans cesse : on peut juste avancer, que même si leurs muscles ne sont pas encore « séchés », comme disent les spécialistes, les garçons paraissent avantagés face aux demoiselles, qui ont plus de mal à rendre leur corps expressif, à quelques exceptions près. Joli travail dans l’ensemble, certes, quelques silhouettes qui se détachent, heureusement pour l’avenir, mais il est évident que chignons tirés et tuniques roses, les jeunes danseuses ont une tâche difficile pour faire parler leurs bras avec la finesse exigée, tandis que les garçons suscitent l’enthousiasme avec leur sauts et leurs cabrioles pleines de vie.
 
Et combien on aime leurs fautes, leurs erreurs lorsqu’ils retombent à côté, leur égarement parfois sur une scène qu’ils ont si peu arpentée, face aux milliers d’yeux qui les dévorent au lieu de l’habituel miroir. Ils doivent en être désespérés, tandis que le spectateur, lui, prend conscience de la difficulté de leurs prouesses et ne les aime que mieux. A l’horizon 2022, on les reverra à l’œuvre dans l’habituel Spectacle de l’Ecole. Des mois auront passé : les équilibres se seront renforcés, la descente dans le sens de la danse aura pris plus de corps, et on les contemplera d’un autre œil, à l’affût de personnalités vibrantes ou de techniques affinées. Emotion et rigueur à concilier : quel beau challenge. Et la mémoire en plus, puisque la 1ère division a décidé de donner à sa promotion le nom de Patrick Dupond, emblème de joie irradiante. Afin que les fils continent de se tisser.
 
Jacqueline Thuilleux

Démonstrations de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris -  Palais Garnier, le 12 décembre 2021 : prochaine séance, le 18 décembre 2021. Spectacle de l’Ecole de Danse, les 14, 15, 16 avril 2022. www.operadeparis.fr

Photo © Francette Levieux – EdD OnP
 

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