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Compte-rendu : William Forsythe et le Ballet de l’Opéra de Lyon au Théâtre de la Ville - Edifice de rupture

En France, le Ballet de l’Opéra de Lyon que dirige Yorgos Loukos, constitue le poste avancé du new-yorkais William Forsythe, très sérieux trublion qui affola le Palais Garnier en 1987, avec le provocant, l’effarant In the Middle somewhat elevated : corps lancés, basculés à la limite de la torsion permanente, longues jambes perchées sans que l’on sût si elles tendaient vers la chute ou l’élévation. Un alien que ce ballet qui se plaisait à garder les bases classiques balanchiniennes, hanches déjetées, avancée du bassin, savants entrelacs graphiques ou rythmiques, et surtout le sacré saint chausson à pointe, devenu lui périlleux tremplin vers l’inconnu, et non plus sublimation du pied pour une envolée de l’âme.

L’Opéra de Francfort fut la plateforme électrique de Forsythe depuis 1981. Il l’a quitté depuis, mais non la ville, pour resserrer sa compagnie et son travail dans des conditions moins lourdes. Il y a continué son exploration du corps comme  « une résistance » dit-il, aux efforts de la chorégraphie pour le canaliser et l’utiliser. Lui le torture et le laisse parler tout à la fois, mais sans l’arme à double tranchant de l’improvisation. Car ici, tout est millimétré et, sur le mode de la répétition, distille d’infimes variations au sein d’une accumulation de mouvements, les corps s’entrechoquant à l’infini sans jamais se marier véritablement.

On admire ce perpetuum mobile, porté ici par Berio pour Workwithinwork, de 1998 et Gavin Bryars pour Quintett, de 1993. Le premier est un jeu purement mécanique où les danseurs se croisent et se décroisent en un déroulé de gestes sans liens, le second une longue mélopée gestique sur la phrase Jesus’ Blood never failed me yet, psalmodiée jusqu’à la fascination, ou la plus totale exaspération. Car tel est Forsythe, admirable et odieux, à force de se vouloir tenir aux limites de l’entendement. Il faut beaucoup aimer voir bouger pour admettre cette mobile dissection, qui n’a de sens que celle que l’attention veut bien lui donner. Les danseurs de l’Opéra de Lyon, sont eux, habitués à cette gymnastique et la servent avec jubilation.

Jacqueline Thuilleux

Paris, Théâtre de la Ville, le 23 février 2011. Jusqu’au 1er mars 2011

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Photo : Dominik Mentzos
 

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