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Compte-rendu : Puissante incarnation - Jenufa au Grand Théâtre de Bordeaux

On guettait impatiemment Mireille Delunsch dans le rôle-titre de l’ouvrage de Janacek, à l’occasion de la reprise à Bordeaux d’une Jenufa déjà présentée à Monte-Carlo avec une distribution différente. La soprano suscite l’enthousiasme par la douleur poignante, la noblesse rayonnante qu’elle transmet, incarnant l’héroïne avec une expression intense tant sur le plan physique que vocal. Une traversée inexorable où la douleur se transmue in fine en un optimisme réconfortant bien dans l’esprit de Janacek.

A ses côtés, l’Australien Stuart Skelton (Laca) se révèle rustre à souhait dans le personnage de l’amoureux transi dont la générosité et la bonté triompheront des embûches semées par le bellâtre Steva (l’excellent ténor Gregory Turay) qui abandonne Jenufa et son enfant. Très impressionnante en Kostelnicka, Hedwig Fassbender donne la pleine mesure du personnage de la Sacristine, crevant l’écran par sa voix aux aigus remarquablement nets et projetés, ainsi que par l’émotion transmise à ce personnage tragique rongé par le remords après qu’elle a tué le nouveau-né.

Plus fragile, la vieille grand-mère Buryja de Sheila Nadler a l’excuse d’interpréter une femme touchée par l’âge tandis que les personnages secondaires (le Maire du baryton Jean-Philippe Marlière, sa femme la mezzo-soprano Marie-Thérèse Keller, leur fille la soprano Laure Crumière et surtout le Contremaître du moulin le baryton-basse Jean-Manuel Candenot) contribuent à entretenir la vitalité de scènes enlevées avec verve et saveur.

La mise en scène de Friedrich Meyer-Oertel, d’un réalisme paysan un peu connoté (proche de La Fiancée vendue de Smetana), a le mérite de respecter la trame narrative sans toutefois s’immerger dans les tréfonds de la psychologie comme l’avait si bien fait Stéphane Braunschweig au Théâtre du Châtelet en 1996. L’insistance à vouloir surligner les gestes de la vie quotidienne ne nuit pourtant pas à la progression dramatique et au dynamisme soutenu de l’action. Les éclairages dosés de Hans Haas créent des climats expressionnistes et découpent des ombres et des lumières très suggestives.

Dans la fosse, la jeune chef d’orchestre américaine Karen Kamensek (qui vient d’être nommée pour la saison 2011-2012 directrice musicale du Staatstheater de Hanovre) insuffle une énergie effervescente et pousse les musiciens de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine dans leurs retranchements. Dans cette partition bouillonnante de vie, jouée ici dans sa version originelle, elle impose une lecture très fouillée, fluide et ferme, d’une rigueur non corsetée. Elle ne gomme ni la rudesse ni les aspérités d’un langage issu du parlé populaire. Les chœurs préparés par Jacques Blanc ponctuent avec enthousiasme l’enchaînement inéluctable des événements, faisant preuve d’une belle homogénéité à l’image de ce spectacle qui, musicalement, rend pleinement justice à cette œuvre gorgée de tendresse et de compréhension pour les damnés de la terre.

Michel Le Naour

Bordeaux, Grand Théâtre, 14 mai 2010

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Photo : DR
 

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