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38e Festival International de piano de La Roque d’Anthéron – Dans la cour des grands – Compte-rendu

Le Festival de La Roque d’Anthéron mérite assurément son appellation de « Mecque du piano ». Un mois durant, le village provençal et ses environs sont en effet irrigués par des manifestations tous azimuts alternant récitals, concerts symphoniques, master-classes, ateliers pédagogiques, au service du clavier roi et par des interprètes de toutes générations.  

Dans le cloître de l’Abbaye de Silvacane, Jean-Claude Pennetier (photo) se fait le passeur de l’intégrale des Nocturnes de Gabriel Fauré, treize pièces jouées suivant les tonalités et non par ordre chronologique. Il en ressort une impression de continuité, mais plus encore d’humanité, méditation sur les âges de la vie entre une jeunesse jaillissante d’invention et une vieillesse imprégnée par l’inquiétude de la mort. Un sommet d’interprétation où, derrière la complexité harmonique, le soliste inspiré atteint un dépouillement quasi métaphysique sans perdre de vue la densité sonore et le sens poétique. Selon le vœu de Fauré, pendant une heure et demie, la musique nous élève « au-dessus de ce qui est ». Un moment qui restera dans les mémoires du public sous le choc.

Florian Noack © Christophe Gremiot

Au Parc de Florans, dans des conditions souvent difficiles dues à la chaleur de la fin de journée et au va-et-vient incessant de certains spectateurs, Florian Noack invite à savourer un série de pièces autour du thème de l’« Album d’un voyageur » (titre son dernier CD, enregistré pour le label La Dolce Volta) (1). Un peu retenu au début, il affirme au fur et à mesure son autorité et une époustouflante connaissance des ressources du clavier dans des arrangements de sa main (Tarantelle de Martucci). A l’inventivité (Variations sur des airs de biniou trégorois de Paul Ladmirault, deux Danses arméniennes de Komitas …), il ajoute une touche d’élégance (12 Valses op. 145 de Schubert), d’originalité (3 Danses polonaises de Szymanowski) et un brillant savoir-faire de transcripteur (deux bis provenant de l’admirable Suite que le jeune artiste belge à tirée du Shéhérazade de Rimski-Korsakov).
 
Déception en revanche le soir à l’écoute des Concertos nos 21 et 23 de Mozart par Luis Fernando Pérez, fébrile, martelant le son au plus profond du clavier et visiblement peu en accord avec le chef Lio Kuokman à la tête d’un Sinfonia Varsovia plutôt routinier. On retrouve avec plaisir les qualités pur sang du pianiste espagnol lors des bis avec une Danse du feu de Manuel de Falla cursive et flamboyante.

© C© Christophe Gremiot

Rena Shereshevskaya et Dmitry Sin © Christophe Gremiot

Le lendemain, la journée d’hommage à la pédagogue Rena Shereshevskaya (professeur à l’Ecole Normale de Musique de Paris) s’ouvre salle des fêtes Marcel Pagnol par le concert matinal de l’un de ses récents élèves, le Russe Dmitry Sin (né en 1989) qui se montre plus à l’aise dans la Sonate n°1 de Rachmaninov, architecturée et d’une belle aisance technique, que dans les Davidsbündlertänze de Schumann plus convenus, d’une réserve à mille lieues du romantisme fantastique de la partition.
 
En début d’après-midi, deux heures de masterclass dispensées par Rena Shereshevskaya auprès de deux de ses disciples déjà confirmés (Dmitry Sin à nouveau et Joseph Birnbaum, qui sait particulièrement bien timbrer le piano Bechstein). Un moment d’intelligence pure où le maître, au-delà de ses  explications sur la Ballade n°4 de Chopin ou des sonates de Beethoven, délivre un véritable message sur son art de la transmission, conçu comme un sacerdoce.

 Maroussia Gentet © maroussiagentet.com

Place ensuite à ses disciples avec, pour commencer, Maroussia Gentet (Prix Blanche Selva du 13e Concours de piano contemporain d’Orléans en mars dernier) qui offre dans le même lieu un récital accompli avec la fluide Sonatine op. 16 de Roussel, trois extraits d’Iberia d’Albéniz, d’une précision à couper le souffle, et la Sonate de Dutilleux agencée comme un mécanisme d’horlogerie (remarquable Choral et Variations). En bis, le 3e Impromptu de Chopin coule de source et l’Etude n°1 de Lutoslawski se montre d’une précision et d’une beauté sonore étincelante. Un vrai travail d’orfèvre.
 
Retour au Parc de Florans en fin d’après-midi où Rémi Geniet propose la Chaconne de Bach/Busoni dans une exécution profonde et puissante, la Sonate Appassionata de Beethoven expressive, énergique et intense, puis les Trois Mouvements de Petrouchka de Stravinsky au relief rythmique accusé et d’une fulgurance virtuose. Cinq ans après un 2e Prix au Concours Reine Elisabeth, le pianiste français témoigne de l’évolution d’un art particulièrement abouti.

© Christohe Gremiot

Lucas Debargue © Christophe Gremiot

A la nuit tombée, Lucas Debargue –  protégé des cigales ! – se montre à la hauteur de sa jeune réputation dans un florilège de pages de Chopin qui affiche beaucoup de personnalité, une connaissance du style et du discours non sans fermeté expressive (Polonaise « Héroïque », Barcarolle, Scherzi nos 1 et 2).
Seconde partie plus âpre et formelle consacrée à la 2e Sonate de Szymanowski qui atteint dans la fugue à 4 voix finale une dimension tellurique et orchestrale. Des bis variés (Nostalgie du pays de Magin, Sonates K. 438 et 491 de Scarlatti) et pour conclure une improvisation spectaculaire sur Round Midnight de Thelonious Monk. De quoi ravir un auditoire déjà conquis.
 
Michel Le Naour

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(1) Un enregistrement qui a fait l'objet il y a peu d'un Disque de la Semaine : www.concertclassic.com/article/album-dun-voyageur-par-florian-noack-1-cd-la-dolce-volta-le-disque-de-la-semaine-compte

La Roque d’Anthéron, Abbaye de Silvacane, Parc du Château de Florans, Salle des fêtes Marcel Pagnol – 5, 6 et 7 août 2018.

Photo Jean-Claude Pennetier © mirare.fr

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