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​Véronique Le Guen, Damien Guillon et Le Banquet Céleste à l’église Saint-Séverin – Orgues en balade – Compte-rendu

Orgues en balade, que Plein Jeu à Saint-Séverin a eu le bonheur d'offrir au public parisien, est un projet associant musique vocale et instrumentale destiné à mettre en valeur des orgues riches d'histoire. Initié en 2019 avec l'Académie de Musique et d'Arts Sacrés de Sainte-Anne d'Auray (Morbihan), il a été proposé à plusieurs reprises en Bretagne, notamment autour d'instruments initialement créés par la dynastie anglaise des Dallam. La Bretagne, terre d'origine des deux principaux protagonistes : Véronique Le Guen, directrice-adjointe de l'Académie d'Auray et l'une des trois titulaires de Saint-Séverin, et Damien Guillon (photo), dont Le Banquet Céleste est en résidence à l'Opéra de Rennes depuis 2016.
 
Ce concert exceptionnel tenait lieu de prélude aux festivités des 60 ans de la reconstruction de l'orgue de Saint-Séverin, recréé en 1964 par Alfred Kern, relevé en 2011 (1) par Quentin Blumenroeder, qui assistait au concert après avoir peaufiné l'accord des anches pour ce temps fort de la saison de Plein Jeu. On sait combien l'apport novateur de ce Kern tient à la juxtaposition-fusion de deux univers réputés antagonistes : orgue classique français et orgue baroque allemand – le tout ouvert sur bien d'autres époques et esthétiques. Le Banquet Céleste a dès lors conçu un programme relevant de ces deux univers, à l'orgue répondant voix et cordes.
 

Véronique Le Guen © DR
 
Musique du XVIIe siècle, antérieure à la tribune ouest et à l'orgue classique dans son double buffet (1745-1748). C'est pourquoi, en guise d'évocation, le concert s'ouvrit dans le chœur (un instrument antérieur pourrait avoir été suspendu en nid d'hirondelle à l'entrée du sanctuaire), avec un choix d'œuvres d'Élisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729) – dont l'époux fut organiste à Saint-Séverin : Symphonie, Récit & Air extraits de Judith (Premier Livre de Cantates françoises, 1708) – voix lumineuse et d'une projection affirmée de la soprano Maïlys de Villoutreys, Marie Rouquié au violon baroque, Isabelle Saint-Yves à la viole de gambe, Véronique Le Guen à l'orgue (1966) signé Philippe Hartmann, qui œuvra aussi à la résurrection du grand orgue ; Menuet de la 2Suite pour clavecin, adapté par Georges Guillard, qui a tant fait pour la redécouverte de la compositrice (2) ; trois mouvements d'une splendide Sonate pour le violon (Livre de 1707) – un Jean-Marie Leclair, dix ans à l'époque, pourrait s'être souvenu d'un tel exemple, aujourd'hui bien trop méconnu. Deux motets pour soprano, alto et continuo de Marc-Antoine Charpentier s'inséraient entre ces pages : Gaude felix Anna et Sicut spina, la fusion des timbres de la soprano et de l'alto de Damien Guillon magnifiant ces chefs-d'œuvre irrésistibles de concision et de faconde.
 
Changement radical de format acoustique pour la seconde partie, en tribune, avec en ouverture le plus que saisissant Lamento de Johann Christoph Bach (1642-1703), cousin de Johann Sebastian : la voix de Damien Guillon comme venant du ciel – Banquet Céleste, véritablement – d'une ampleur et d'une profondeur musicale et émotionnelle bouleversantes. Même veine doloriste, plus sereine, avec une œuvre classée parmi les chorals de Buxtehude mais rarement entendue car elle exige une voix : Mit Fried und Freud ich fahr dahin BuxWV 76 (texte et mélodie de Luther, 1524, Cantique de Siméon), qui réunit deux musiques funèbres de 1671/1674. Quatre sections pour orgue solo, Contrapunctus 1 & 2 alternés avec Evolutio 1 & 2, Véronique Le Guen registrant comme sur un authentique Schnitger, dont de poétiques « consorts de violes » sur jeux d'anches à corps courts : le Kern versant allemand, couronnées du fameux Klag-Lied, avec une soprano porteuse d'espoir, violon et continuo. Du violoniste virtuose Johann Schop (Hambourg, 1590-1667) – Bach réutilisa l'une de ses mélodies dans sa Cantate BWV 147 – s'ensuivit une page effectivement virtuose et implorante, pour violon et orgue : [Variations sur] Nasce la pena mia d'Alessandro Striggio. Puis vint l'un des moments de grâce de ce concert : irrésistible duo soprano/alto Wir eilen mit schwachen, doch emsigen Schritten de la Cantate BWV 78, délicieusement accompagné par l'orgue et la viole, Cantate que Damien Guillon a gravée, avec Céline Scheen, dans son album Trinitatis (Alpha).
 
La composante classique française fut grandiosement illustrée par un Magnificat d'Henry Du Mont, les versets chantés alternant avec le Troisième Livre de Nivers : occasion d'entendre l'illustre grand plein jeu de Saint-Séverin, dont la réputation n'est certes pas usurpée !, mais aussi un dialogue de petite et grande tierce, une basse de cromorne ou un chœur d'anches et cornets admirable de grandeur. Cette balade se referma, avec l'ensemble des musiciens, sur un poignant Salve mi, Jesu de Daniel Danielis (1635-1696), natif du pays de Liège, passé par l'Allemagne puis Paris avant de devenir maître de chapelle de la cathédrale de Vannes – retour en Bretagne.
 
Michel Roubinet

(1www.concertclassic.com/article/inauguration-de-lorgue-releve-de-saint-severin-dalfred-kern-quentin-blumenroeder-compte
 
(2www.concertclassic.com/article/georges-guillard-interprete-elisabeth-jacquet-de-la-guerre-lorgue-du-chateau-de

Paris, église Saint-Séverin, 14 mai 2023
 
 Sites Internet
 
Plein Jeu à Saint-Séverin
www.facebook.com/orguesaintseverinparis
Prochains concerts les 24 mai et 24-25 juin 2023
 
Véronique Le Guen – Académie de Musique et d'Arts Sacrés de Sainte-Anne d'Auray
academie-musique-arts-sacres.fr/veronique-le-guen/
 
Photo © Julien Benhamou 

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