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​Royal Palace et Il Tabarro à l’Opéra de Montpellier – Le cauchemar de Michele – Compte-rendu

La pratique consistant à associer deux ouvrages lyriques en un acte s’installe à l’Opéra de Montpellier et l’on ne peut que s’en féliciter car elle offre l’occasion de savourer des merveilles souvent délaissées ou trop peu fréquentées à cause de leur format. Après L’Hirondelle inattendue de Simon Laks et L’Enfant et les sortilèges de Ravel, création française et répertoire font à nouveau cause commune avec un non moins original doublé constitué de Royal Palace de Kurt Weill et Il Tabarro de Puccini.
 

© Marc Ginot
 
On a senti certains spectateurs passablement déconcertés au sortir de Royal Palace, trop soucieux qu’ils avaient été de chercher à « comprendre » un ouvrage totalement surréaliste où il n’y a justement guère à comprendre, si ce n’est la déréliction de Dejanira, personnage central, prise entre trois hommes (L’Amant d’hier, Le Mari et l’Amant de demain) que cet extrait de son ultime intervention résume : « Pauvres soupirants !/Triste amants ! /Vous avez pris des morceaux des mondes étrangers/Comme les enfants jouant à un jeu de construction. Et vous m’y avez placée /Comme une reine de bois / Pauvre soupirants !/ Tristes amants !/ Aucun de vous ne m’a reconnue. »
Quarante cinq minutes au total, à peine plus de vingt minutes de chant : un opéra d’un genre très particulier donc, qui relève bien plus d’une juxtaposition de monologues que d’une action à proprement parler. Pourquoi ? Pourquoi pas !, répond en permanence le livret d’Ivan Goll avec la libre incohérence d’un rêve.
 

Royal Palace - Kelebogile Besong (Dejanira) & Karhaber Shavidze ( Le Mari) © Marc Ginot
 
Un rêve ? C’est bien ainsi que la metteuse en scène Marie-Eve Signeyrole considère l’ouvrage de Weill. Elle a pris le parti de le relier au Tabarro en imaginant qu’il décrit le cauchemar de Michele confronté à la fin de son amour pour Giorgietta, option qui fonctionne d’autant mieux que les deux mêmes – et excellents ! - interprètes se partagent les rôles de Dejanira/Giorgietta et L’Amant d’hier/Michele.
Ronflements, projection sur écran ; gros plan sur le visage d’un gaillard barbu endormi - Michele. Puis quelques images en noir et blanc montrant l’envol souriant d’une caravelle, avant de suggérer son crash en pleine mer où (hypothèse surréaliste, mais qu’importe, justement) on découvre les protagonistes de Royal Palace, secoués mais vivants, parmi les débris de l’aéronef. «Un huis clos à ciel ouvert » : la formule de M.-E. Signeyrole résume l’atmosphère tout à la fois absurde, étrange, drôle parfois aussi, qui se dégage de sa proposition (aucune entrée-sortie, tous les personnages sont en permanence présents) et que renforcent les décors (de Fabien Teigné) et la partie vidéo (de Marie-Eve Signeyrole).
 
Weill a habillé le livret de Goll d’une musique aussi séduisante que composite, qui regarde ici vers l’atonalité ou le jazz, là vers Korngold ou Mahler. Véritable marqueterie musicale, particulièrement délicate  à mettre en place, Royal Palace bénéficie de la battue précise de Rani Calderon, aussi attentif à l’énergie rythmique qu’à la couleur. Fort de cette assise, le plateau, même si son rôle se révèle comme on l’a souligné modeste, montre ses qualités, d’abord avec la sud-africaine Kelebogile Besong (Dejanira), découverte de ce spectacle au même titre que l’ardent Ilya Silchukov en Amant d’hier. Florian Cafiero (L’Amant de demain), Karhaber Shavidze (Le Mari), Paul Schweinester (le jeune pêcheur), Till Fechner (le vieux pêcheur) et Khatouna Gadelia ne méritent qu’éloges eux aussi.
 

Il Tabarro © Marc Ginot
 
Après le plaisir de la découverte, un véritable choc attend le public avec un Tabarro d’une rare force d’émotion. Après le décor assez réaliste du Weill, Signeyrole et Teigné optent pour un univers très abstrait. Exit la carte postale, le pittoresque d’un quai de Seine ! Seulement la suggestion d'une coque de péniche. C’est dans l’espace mental de Michele que l’on est entraîné. Un être confronté à la fin de sa relation avec Giorgietta. Effondrement des espoirs d’hier et des rêves d’avenir, que traduit l’introduction de deux figurants, un sosie de Michele – un « Michele d’hier » - et un enfant – personnification d’un « demain » qui ne sera pas.
Cette trouvaille, ajoutée à un décor et des vidéos superbes et des lumières très soignées (de Philippe Berthomé), apporte à l’ouvrage de Puccini une profondeur de champ aussi inattendue que convaincante. Magnifique Giorgetta, Kelobogile Besong donne la mesure d’une voix aussi timbrée qu’homogène et d’une profonde musicalité. Voilà une artiste que l’on suivra de près, au même titre qu’Ilya Silchukov, déchirant en Michele impuissant face à la rivalité d’un Luigi auquel Rudy Park (remarqué en Calaf lors de la Turandot montpelliéraine de février dernier) apporte sa carrure de colosse et le beau métal de son instrument. Tinca (Florian Cafiero), Frugola (Kamelia Kader), Talpa (Karhader Shavidze), etc. : tous concourent avec talent et engagement à la pleine réussite de ce Tabarro. Mais Puccini bénéficie grandement aussi d’un Orchestre de Montpellier en splendide forme – l’effet Schønwandt se fait sentir ... - porté par l’intelligence dramatique de Rani Calderon.
 
Contrepartie de l’image choc et sanglante sur laquelle se referme le spectacle, la scène n’est pas très pratique au moment des saluts. Mais l’ovation est là, à la mesure de la réussite de ce spectacle de fin de saison. Vive les doublés ... et vivement juin 2017 à Montpellier pour la croustillante Nuit d’un neurasthénique de Nino Rota et Gianni Schicchi de Puccini - par Marie-Ève Signeyrole !
Pour l’heure, encore deux dates pour Royal Palace/Il Tabarro, ne les manquez pas !
 
 
Alain Cochard

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Weill : Royal Palace / Puccini : Il Tabarro – Montpellier, Opéra Comédie, 10 juin, prochaines représentations les 16 et 16 juin 2016. www.opera-orchestre-montpellier.fr/
 
Photo © Marc Ginot

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