Journal

Prélude à la 46e Académie-Festival des Arcs à l’Institut Balassi – A la hongroise – Compte-rendu

La station des Arcs fête le 50ème anniversaire de la création de son premier site cette année. Quant à son Académie-Festival, lancée en 1973 à l’initiative de Roger Godino, elle se rapproche de ce cap symbolique, rappelant que sport, nature et musique ont très tôt fait bon ménage à Bourg Saint Maurice.
Depuis quatorze ans, le violoniste Eric Crambes assure la direction artistique d’une manifestation entièrement gratuite (une quarantaine de concerts) qui, pendant près de trois semaines (du 17 juillet au 2 août cet été) rassemble des artistes de toutes générations et fait des Arcs un haut le lieu de la transmission (entre 150 et 200 jeunes stagiaires viennent travailler auprès de grands maîtres au sein d’une Académie dont la réputation n’est plus à souligner).
 

Eric Crambes © DR

« Sans esprit de chapelle », E. Crambes insiste sur ce point, les Arcs ont toujours entretenu une relation très étroite avec la musique d’aujourd’hui. Chaque année, un compositeur y est en résidence : pas un rapide acte de présence, mais une vraie résidence, sur toute la durée du festival, qui permet à l’artiste – le toulousain Benjamin Attahir (né en 1989) cette fois – de nouer des liens privilégiés avec les interprètes comme avec le public. Et parfois aussi de trouver de l’inspiration : c’est aux Arcs, face au majestueux spectacle de la nature, que Kaija Saariaho composa son Cloud Trio en 2009 ... Ajoutons que deux « compositeurs invités », Franck Krawczyk et Camille Pépin, participent eux aussi à l’édition 2019.
 

Benjamin Attahir © Universal Music

D’abord et avant tout consacré à la musique de chambre, l’Académie-Festival choisit chaque année une grande thématique. Après Bernstein et les Etats-Unis en 2018, la 46e édition se tourne vers l’est et une nation parmi les plus musiciennes qui soient : la Hongrie. Liszt, Bartók, Ligeti, Kurtág et Eötvös sont programmés mais, loin de se limiter à ces incontournables, Eric Crambes réserve une large place aussi à des auteurs moins connus chez nous : Dohnáayi, Weiner, Szabó, Rózsa, Lajtha, Goldmark, Erkel, Hubay, Veress, Mosonyi, que l’on entendra en compagnie d’ouvrages de Bach, Mozart, Brahms, Dutilleux, Schumann ou Beethoven.

La présentation de la 46e édition de l’Académie-Festival des Arcs, à l’Institut Balassi, l’Institut hongrois de Paris, rue Bonaparte, était suivie d’un concert ouvert au public qui donnait le ton de cette programmation très magyare.
Comment se peut-il qu’une partition de cette qualité soit si rarement donnée, se demande-t-on en entendant la Sonate pour violoncelle et piano op. 8 (1899) d’Ernö von Dohnányi. On la savoure sous l’archet de Xavier Gagnepain, magnifique musicien et pédagogue, fidèle aux Arcs depuis de très longues années. Le compositeur hongrois totalise à peine plus de vingt ans lorsqu’il livre cet ouvrage en quatre mouvements, certes marqué par l’influence du romantisme allemand, celle de Brahms surtout, mais néanmoins admirablement construit et abouti.
Avec Jennifer Fichet au clavier (elle sera la partenaire de X. Gagnepain dans ce même ouvrage aux Arcs le 27 juillet prochain), le violoncelliste livre une version irrésistible d’engagement et d’ardeur dans les deux épisodes extrêmes – thématiquement reliés. La puissance et le souffle sont là, mais les interprètes rendent autant justice au chic et au brio ailé du Scherzo (bravo à une pianiste qui n’a pas la tâche facile dans cet épisode !) ou à l’intériorité de l’Adagio. Les deux sonates pour violoncelle et piano de Brahms sont des chefs-d’œuvre soit, mais celle de Dohnányi mériterait de venir apporter plus souvent un peu d’originalité dans les programmes ...

Le Quatuor Elmire © Académie-Festival des Arcs

Place au compositeur en résidence du 46ème Festival ensuite avec Swimming is NOT saving de Benjamin Attahir, étonnante pièce pour violon solo, qui fut créée en 2017 à Rome par Renaud Capuçon (un ancien stagiaire de l’Académie des Arcs !). L’archet d’Antoine Paul en restitue le foisonnement intérieur et la dimension hypnotique avec des couleurs variées et une confondante maîtrise.

Celle du Quatuor Elmire (photo ; Cyprien Brod, Nam Nguyen, Issey Nadaud et Rémi Carlon, tous issus du CNSMD de Paris) n’impressionne pas moins. Formé en 2015, invité dès 2017 aux Rencontres d’Evian, résident ProQuartet depuis l’an passé, le jeune ensemble a choisi le Quatuor n° 2 de Bartók. Vrai coup de poing de beauté que leur interprétation, formidablement dominée, d’une densité, d’une force expressive inouïes : Bartók vécu corps et âme ! C’est très simplement magistral.
 

Nathan Mierdel et Yan Levionnois © Académie-Festival des Arcs

A l’instar de la Sonate en si bémol mineur de Dohnányi, le Duo pour violon et violoncelle op. 7 de Kodály n’a pas la réputation qu’il mérite. On s’en convainc en l’entendant sous les archets de Nathan Mierdl et Yan Levionnois. Violon radieux associé à la sonorité profonde, ambrée, du violoncelle : l’entente est parfaite et la fougue, le dynamisme, l’imagination sonore du propos rendent pleinement justice à la surabondante générosité de la partition. Deux interprètes que, comme tous ceux précités, on aura plaisir à entendre aux Arcs cet été.

Quant à l’Institut Balassi, notez qu’il programme un récital de János Palojtay ce 24 mai. Une jeune pianiste né en 1987, encouragé par Sir András Schiff et Mitsuko Uchida, que l’on entendra dans des pages de Dohnányi, Chopin, Debussy et Bartók (1). Une occasion de profiter de la dernière journée de l'exposition sur les 100 ans du Bauhaus.(2)

Alain Cochard

  1. www.parizs.balassiintezet.hu/fr/programmes/recital-de-piano-de-janos-palojtay/
  2. www.parizs.balassiintezet.hu/fr/programmes/hommage-au-bauhaus/

 
Paris, Institut Balassi, 14 mai 2019 // www.festivaldesarcs.com/edition-2019/

Site de l’Institut Balassi : www.parizs.balassiintezet.hu/fr/

Photo © Sébastien Brod

Partager par emailImprimer

Derniers articles