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Philippe Bianconi en récital au TCE - Grand Art - Compte-rendu


Un mystère : il aura fallu que Philippe Bianconi passe la cinquantaine pour donner son premier récital au Théâtre des Champs-Elysées, et notons le bien, non à l’initiative de la direction artistique de la prestigieuse salle parisienne mais à celle du Festival Piano aux Jacobins de Toulouse Le concert qu’il vient d’offrir, et qui a mis tout le théâtre débout, signe simplement l’art du meilleur pianiste français de sa génération – on ne voit guère que Roger Muraro qui, en d’autres répertoires, puisse lui contester ce titre -, et consacre l’un des très grands du piano mondial d’aujourd’hui.

Voici un quart de siècle que l’on suit, de disques en concerts, l’éclosion de cet art dédié avant tout à la poésie de la musique, et l’on se souvient encore des frissons que son accompagnement, pour Hermann Prey, du Winterreise de Schubert, nous avait occasionnés. Depuis le musicien s’est émancipé et aujourd’hui, enfin libre, il atteint à une degré de naturel et d’invention qui rendra chacune de ses apparitions immanquables.

Encore un peu tendu par l’événement, Bianconi charbonne les deux Rhapsodies op 79 de Brahms, refusant de les éclairer, les jouant dans l’épaisseur du clavier mais pas dans celle du son : l’harmonie rayonne derrière la profusion des notes, les contre-chants hérissent les traits en tempêtes, ce Brahms de très haute tradition – on songe à Backhaus, à Arrau – porte tout de même en lui un dessin précis, une progression dramatique maîtrisée et surtout éloquente. Pour les Davidsbündlertänze le ton lyrique est immédiatement trouvé, les couleurs irisent un discours très souple, où les figures redoublées de Schumann, ses rythmes à contretemps, l’entrelacs capricieux des motifs n’auront jamais paru aussi évidents sinon sous les doigts de Géza Anda. Pourtant cela sonnait plus Carnaval que Davidbündlertänze, saynètes, pièces de genre, incroyables de fantaisie, balançant contrôle et liberté. Mais à compter d’Ungeduldig la poésie rattrape le poète, le récit le prend et vous prend si bien que le cycle refermé la salle reste muette. Il nous a tous emmené très loin.

Et il fera de même dans Gaspard de la nuit, rendant son clavier liquide, distillant un son mystérieux et précis à la fois, réalisant l’alchimie parfaite entre Ravel et Aloysius Bertrand. Toucher félin, liberté absolue pour Ondine par l’utilisation d’un clavier-couleurs inouï de profondeur et de transparence, sensualité crépusculaire des timbres, digitalité irréelle, emploi de la pédale de haute école et une fantaisie lunaire lugubre dans Le Gibet, une imagination débridée qui dans Scarbo cache la virtuosité sous l’art. Clouant.

Idem pour le Prélude op 45 et le Second Scherzo de Chopin, joués avec une volupté de l’harmonie, une profondeur du son que plus personne n’y met vraiment (et là encore, on songeait à Arrau).

Théâtre debout, donc festival de bis : une étude posthume de Chopin, la Toccata du Tombeau de Couperin enflammée, surtout des Poissons d’or envoûtants, érotiques dans leur plénitude sonore, clin d’œil à l’intégrale Debussy que Philippe Bianconi entreprend pour ses éditeurs de toujours, René et Suzanne Gambini. Lyrinx vient juste d’en publier le premier volume. De quoi prolonger l’émotion et l’ivresse d’un concert inoubliable.
Maintenant il faut que le TCE l’invite en personne. Un récital parisien de Philippe Bianconi chaque saison, ce serait bien le moins.

Jean-Charles Hoffelé

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 29 avril 2011

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Photo : Jean-Michel Sabat

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