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​ « Pastoral for the planet » au Grand Théâtre de Provence – Apocalypse à la sauce catalane — Compte-rendu

Après La Création de Haydn en 2017, Laurence Equilbey et la troupe catalane La Fura dels Baus s’unissent à nouveau cette saison pour proposer « Pastoral for the planet », un spectacle total construit autour du rapport des humains avec l’écologie profonde accompagné par la musique de Beethoven et de quelques un(e)s de ses contemporain(e)s. Coproduit par Le Grand Théâtre de Provence, le Musikfest Bremen, La Fura dels Baus et Insula Orchestra, cet OVNI culturel et engagé vient d’être créé à Aix-en-Provence. Si l’on sait que Beethoven était atteint de surdité, ce que l’on sait moins est que cette affection fut vraisemblablement liée à une intoxication saturnique résultant de la consommation de plomb contenu, notamment, dans l’eau fort polluée à l’époque. Le compositeur portait déjà un regard plus qu’inquiet sur l’avenir de la planète. En cette année de 250ème anniversaire voici une façon pour le moins originale de lui rendre hommage.
 
 Avec « Pastoral for the planet », La Fura dels Baus, son directeur artistique Carlu Padrissa, associés au scénographe Mihael Milunovic et au créateur vidéo José Vaaliña, font de la Fura dels Baus pur jus. Au centre de la scène, est planté un totem pas très élégant, voire laid, mi baobab, mi véhicule interplanétaire flanqué, à cour, de ce qui semble être une partie de fuselage d’un avion qui se serait crashé.  Décor de base pour une apocalypse programmée qui débute par le vol du feu sacré aux dieux par Prométhée et se poursuit par l’ouverture de la boite de Pandore. Sur scène, quatre danseurs déroulent l’action acrobatiquement alors que la salle est prise dans un maelström d’images projetées à 360°. Pollution, réchauffement planétaire, guerres, destructions physiques et psychologiques, exodes : tout mène vers une fin du monde symbolisée par la chute finale du totem baobab. Arrive alors la Symphonie n°6 de Beethoven, cette fameuse « Pastorale », comme un vecteur de résurrection d’une humanité enfin apaisée ou la terre est redevenue nourricière et où l’art est érigé au rang d’ultime vérité. Dès lors, il ne restera plus qu’une seule chose à faire au public, par téléphone cellulaire connecté interposé, choisir la fin du spectacle, heureuse ou malheureuse pour la planète.
 
© Agnè Mellon
 
Autant le dire tout de go, si vous voulez simplement écouter de la musique, inutile de vous déplacer. En revanche, si vous voulez voir un spectacle surprenant, parfois déroutant, mêlant technologie et bons vieux effets spéciaux, n’hésitez pas une seconde, vous ne serez pas déçus. Même si vous risquez de friser l’overdose à certains moments, lorsque votre téléphone vibre dans la main pour vous livrer un aphorisme de Beethoven, de Darwin ou d’un autre qu’il vous faudra lire alors que vous êtes captivés des yeux par l’aigle du Caucase qui vient dévorer le foie de Prométhée et des oreilles par Insula Orchestra qui joue l'Allegretto de la Symphonie n°7 de Beethoven… Un brin too much ! Mais c’est la marque de fabrique de La Fura dels Baus.

Quant à la musique, elle est plutôt mise en valeur, sous la direction de Laurence Equilbey, par un orchestre qui s’est forgé un beau son romantique au fil des ans. Sa directrice musicale profitant de l’occasion pour faire découvrir quelques joyaux peu donnés : « L’orage » du Leonore d’Anton Reicha, la sublime ouverture de Hero und Leander de Julius Rietz, « Schlacht » tiré de Kampf und Sieg de Carl Maria von Weber ou encore la scène dramatique Hero und Leander de Fanny Hensel Mendelssohn, superbement interprétée par Sophie Karthäuser qui, dans un environnement pour le moins chaotique, a pu faire apprécier la limpidité et la justesse de son chant à cette occasion, mais aussi pour le final avec trois airs tirés de l’Oberon de Weber.

Car si deux tiers des quelque 500 téléphones cellulaires connectés au soir de la première ont choisi un heureux épilogue pour la planète, les deux options proposées ont été jouées, Weber, d’une part et la « symphonie triomphale » d’Egmont d’autre part… On revient toujours à Beethoven ! Signalons enfin que l’interactivité par téléphone interposé est, à notre connaissance, une première dans un tel environnement. C’est un gadget à deux faces : un côté déplaisant car perturbant tout au long du spectacle, hormis pour le choix final, un côté plus sympathique qui aura permis à 500 grenouilles de coasser dans la salle lorsque fut jouée la Scène au bord du ruisseau de la "Pastorale". Technologie, quand tu nous tiens…
 
Michel Egéa

« Pastoral for the planet » -  21 février, Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence ; prochaines dates 26 et 27 février 2020 à Paris (Seine Musicale) // www.insulaorchestra.fr/e/pastoral-for-the-planet/
5 juin 2020 à Dortmund // www.konzerthaus-dortmund.de/de/programm/05-06-2020-la-fura-dels-baus-pastoral-for-the-planet-222019/
 
  
Photo © Agnès Mellon
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