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Paris - Compte-rendu : La Flûte enchantée de La Fura dels Baus fait vaciller la Bastille

Ambiance électrique lors de la seconde représentation parisienne de ce spectacle importé de la triennale de la Ruhr dont une retransmission télévisée en différé de Bochum avait trahi les inventions pas si délirantes que cela. Au beau milieu du premier acte, un incident technique contraignit les machinistes à baisser le rideau, hués, rires, quelques « Mortier démission », plus que du bruit, un petit vent de révolte contre le style que le nouveau Directeur de l’Opéra veut imposer.

Pourtant, cette Flûte, surréaliste dans la vraie tradition catalane et dont les projections sont autant de citations de films de Bunuel ou de tableaux de Dali (la recette de la paella aux fruits de mer, le visage de Pamina recomposé à partir de l’œil droit, le sang de Sarastro qui remonte le décor au lieu d’en couler etc..), ne mérite pas autant d’indignité. Malgré une présence trop voyante de l’armada technique, Alex Ollé et Carlös Padrissa ont réussi leur pari : débarrasser l’œuvre de toutes références maçonniques et la rendre à son univers premier : le conte. On n’est pas près d’oublier le serpent infini, le bain de balles de Monostatos, les enfants et leurs clones tournoyant téléguidés, Tamino recroquevillé en position fœtale, la Reine de la Nuit portée à bout de Fenwick.

Le spectacle possèderait un rythme parfait si les dialogues - qu’on aurait pu dire en français - n’avaient pas été remplacés par les poèmes insipides de Rafael Argullol, auquel Pascal Greggory ne croyait pas un instant alors que Dominique Blanc essayait de les investir de sa présence radieuse et inquiète à la fois. Tout le I était transporté par une inspiration sans faille, suractive, bondissante jusqu’à l’ivresse. Le II peinait un peu, victime de trop de gonflages et de dégonflages de la dizaine d’immense matelas qui envahissaient le cadre de scène entièrement ouvert de la Bastille.

Devant tant d’espace à emplir les chanteurs faisaient feu de tout bois, et la distribution se révéla sans faille : Delunsch et Groves idéaux par le physique comme par le timbre, on entend encore le Ach ich fühl’s de Pamina, si simple et si juste. Stéphane Degoût, Papageno crâne à souhait, un tout jeune Zarastro (Ain Anger, estonien, trente trois ans) au timbre somptueux mais aux graves encore un rien incertains, des Dames et des Enfants virtuoses et touchants, un Sprecher de Luxe, Olaf Baer, présenté comme Sarastro dans des armoires magiques dont on peut déplacer les éléments ou les transpercer d’épées, et au-dessus d’eux une Reine de la Nuit réunissant le tranchant maléfique d’Edda Moser avec le fruité expressif de Lucia Popp, retenez bien ce nom : Erika Miklosa.

Dans la fosse la baguette de Marc Minkowski était tout soie et velours, d’une souplesse féline, d’une élégance rêveuse, inspirant à l’Orchestre de l’Opéra de Paris des couleurs et des respirations où l’on percevait l’or calme d’une trompette naturelle, l’eau émue d’une flûte de bois, l’appui léger des timbales de peau, toute une poétique qui s’accordait avec le songe éveillé d’un spectacle perfectible mais qui ne trahit jamais l’esprit de l’œuvre, contrairement à ce qu’une vision trop rapide laisserait accroire. Courrez-y, vous serrez irrité, conquis, on vous défi d’en ressortir indifférent.

Jean-Charles Hoffelé

Seconde représentation de La Flûte Enchantée de Mozart dans la mise en scène de La Fura dels Baus, le 26 janvier, Opéra Bastille, puis le 29 janvier et le 1er, 4, 7, 10, 12 15 18 et 20 février.

Programme détaillé de l’Opéra Bastille

La Flûte enchantée en DVD

Les DVD de l’Opéra de Paris

Photo: Eric Mahoudeau/Opéra de Paris
 

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