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​Nour Ayadi joue Poulenc et Schumann – L’art des caractères

En 2019 l’Ecole Normale de Musique couronnait Nour Ayadi de son Prix Cortot. Et c’est d’ailleurs via la représentante de l’établissement à Casablanca – Nicole Salmon – que l’enfant, née en 1999, a pu démarrer l’étude du piano et se préparer à étudier la musique en France (à l’Ecole Normale et au CNSMDP) à partir de 2017. Cursus d’ailleurs réalisé parallèlement à de brillantes études générales (Sciences Po Paris). Depuis la fin de l’épisode covidien et la reprise de la vie musicale, la réputation de la jeune interprète n'a cessé de grandir. On en veut pour preuve le public nombreux qui a répondu présent fin janvier(1) pour le récital que la pianiste donnait à la Scala Paris dans le cadre d’un rendez-vous co-organisé par la salle du boulevard de Strasbourg et la saison Les Pianissimes.
 
Après un lever de rideau très réussi confié, comme on l’a plusieurs fois vu déjà à la Scala, à un ensemble de jeunes percussionnistes – issus des Conservatoire de Drancy et du 10Ardt (Cons. Hector-Berlioz) – placé sous la conduite de Pierre-Olivier Schmitt, qui dirigeait cette fois un bel arrangement (de sa main) de la Bacchanale de Saint-Saëns, Nour Ayadi a pris place au piano. Il s’agissait de fêter la sortie de son disque « Carnaval » (Scala Music), qui rassemble Poulenc (Les Soirées de Nazelles, Trois Novelettes) et Schumann (Carnaval de Vienne, Novelettes op. 21 nos 4 et 6). La réunion du Français et de l’Allemand peut surprendre, mais elle fait pleinement sens pour qui se souvient que Poulenc avait originellement songé à intituler son ouvrage (composé entre 1930 et 1936) « Carnaval de Nazelles ». La diversité des atmosphères, des caractères constitue le point commun entre les deux partitions, l’une totalement méconnue, l’autre trop négligée au profit du sempiternel Carnaval op. 9.
 

Quelques extraits de la Suite en ré de Rameau (La Follette, La Joyeuse, Les Tendre Plaintes, Les Niais de Sologne) tiennent lieu de mise en bouche, parfaitement en situation avant Les Soirées. Depuis l’enregistrement de l'ouvrage par Olivier Greif (1999, pour le label Pianovox), nul ne s’est emparé de la partition de Poulenc avec l’intelligence et l'acuité du regard qu’y manifeste Nour Ayadi. On a été conquis par son disque ; on l’est tout autant par la façon dont, en public, elle explore l’irrésistible galerie des portraits tracés par un Poulenc fin observateur des voisins croisés chez « tante Liénard » à Nazelles. L’esprit, le sentiment et les doigts (car il en faut de sacrément exercés ici !) : tout concourt à la pleine réussite d'une interprétation où la mobilité d'humeur va de pair avec une parfaite netteté du dessin. Le Carnaval de Vienne qui suit n’est nullement en reste et on ne peut que rendre les armes face à la jeunesse, au souffle, à la poésie vibrante et fantasque qui parcourt le Schumann de Nour Ayadi – un élan qui ne s’exprime jamais cependant au détriment de la clarté polyphonique.
 
Vous avez raté le récital parisien de Nour Ayadi ; ne manquez surtout pas son disque, ni les prochaines apparitions de l'artiste. Sélectionnée dans la catégorie Révélation soliste instrumental des Victoires de la Musique (Montpellier, 29/02), la pianiste va avoir une activité plutôt chambriste dans les semaines qui viennent, avec Gautier Capuçon (2) (Chapelle Reine Elisabeth le 13/03, à Genève les 14 et 15/03) puis avec Emmanuel Coppey (Opéra de Limoges les 12 et 13 /04), avant de gâter le public alsacien lors d’une tournée Ajam (du 14 au 21/04) dans un très alléchant programme Fauré, Scriabine, Ravel, Albéniz et Stravinski.

 
Alain Cochard 
 

 
(1) 28 janvier 2024, La Scala Paris
(2) Nour Ayadi fait partie de la promotion 2022 de la Fondation Gautier Capuçon

Calendrier des concerts de Nour Ayadi : nourayadi.com/concerts-2/
 
Photo © Yann Bennis

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