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Mythologies d’Angelin Preljocaj en ouverture du festival Le Temps d’Aimer /Biarritz 2022 – Une aventure composite – Compte-rendu

 
Deux noms de chorégraphes-stars pour ouvrir et fermer cette 32édition du fameux festival, avec la caution appuyée de l’Académie des Beaux-Arts, des salles qui promettent d’être bondées, 31 compagnies programmées ! Malgré ces montées en puissance qui auréolent d’un prestige croissant la manifestation sur laquelle veille Thierry Malandain, Le Temps d’Aimer (et de danser), n’a rien perdu de sa fraîcheur. Car, outre de jeunes et moins jeunes gloires, toujours percutantes, de Martin Harriague à Pietragalla, et la présence toujours renforcée de compagnies vedettes, il continue d’ouvrir ses portes à d’autres horizons, porteurs d’histoire ancienne et de questions nouvelles, depuis les folklores revisités venus de la Guadeloupe ou du Pays basque aux interrogations sur la place des femmes, lesquelles sont d’ailleurs fortement présentes ici pour la part créatrice : Pietra, donc, mais aussi la grande Eva Yerbabuena, la toute nouvelle Xenia Wiest, la fine Sun-A-Lee, Marie-Geneviève Massé et son éternelle quête baroque, ou la moins célèbre Sylvie Pabiot sont la preuve vigoureuse de cette non-marginalisation.
 

© Olivier Houeix      
 
Sans parler de l’immense silhouette de la presque octogénaire Carolyn Carlson, désormais académicienne, juste présente dans cet aréopage d’artistes comme un mythe vivant, et adulée avec une sorte de respect figé, même si l’on admet que sa créativité a le droit de ne plus se renouveler. Célébration d’ouverture en fanfare donc, puisque Thierry Malandain, sans habit vert, mais en maître des lieux avait convié comme comité d’accueil de luxe ses trois collègues de l’Académie des Beaux Arts, encadrés par la verve toujours trépidante et profondément humaniste de Laurent Petitgirard, qui, en un brillant topo,  rappela au public l’importance du rôle de l’Académie – dont il est le secrétaire perpétuel –  dans la lutte pour aider les jeunes artistes. Si Carlson était présente et Bianca Li retenue à l’étranger, Preljocaj, lui était sur le terrain, pour présenter  Mythologies, sa dernière pièce conçue pour dix danseurs de l’Opéra de Bordeaux, où elle a été créée, et dix autres de sa propre compagnie, le Ballet Preljocaj.
 

© Olivier Houeix      

On sait le talent de ce créateur souvent dérangeant, capable de fasciner ou d’agacer. Et la soirée fut brillante, certes, car, pendant une heure et demie, les magnifiques interprètes, sans reprendre leur souffle, ont épousé corps et âmes la quête d’un chorégraphe qui, une fois de plus surprend par le caractère protéiforme de son travail. Mais, on l’a beaucoup constaté, il y a deux Preljocaj – et sans doute bien plus – : celui, tendu, à l’os, rigoureux à l’extrême, qui a su inventer Le Parc, La Fresque ou donner vie scénique au Winterreise. Il y a aussi le Preljocaj populaire, accrocheur, celui d’une Blanche Neige qui fit courir  les foules, ou cherchant à séduire par la sensualité de ses lignes volontiers orientalisantes. Ici, avec ces Mythologies, on reste à  la porte d’un album de visions axées sur l’héritage des grands mythes surgis de nos inconscients et qui ont fini par imprégner nos consciences.
 

© Olivier Houeix      
 
Défilent donc, qu’on les reconnaisse ou pas, de belles et cruelles Amazones, des Crétois, des Gorgones, un Minotaure dans son labyrinthe, une Aphrodite, et beaucoup d’autres, en une succession de tableaux veloutés ou violents, superbement construits, mais auxquels manque un lien fort qui conduirait à les expliciter et à suivre la pensée du chorégraphe par-delà l’accumulation de ses obsessions. Les vidéos de Nicolas Clauss, qui font la part belle aux visages des danseurs, comme des projecteurs qui nous dévorent, chargent exagérément l’image, les costumes de la talentueuse Adeline André sont délicatement poétiques avec leurs transparences flatteuses, mais aussi bizarrement criards, enfin la musique commandée par Preljocaj et jouée (sur bande) par l’Orchestre national Bordeaux-Aquitaine avec à sa tête le chef Romain Dumas, œuvre des plus consensuelles, voire étonnamment ringarde du révolutionnaire Thomas Bangalter, gloire des Daft Punk, montre que l’évolution de ce musicien d’avant-garde est plutôt régressive. Mais il y a les figures diaboliquement entrelacées par Preljocaj, maître des forêts de bras et de jambes, son sens des ensembles, l’angoisse qui remonte du labyrinthe de ses visions, et une incontestable séduction qui contraste avec la férocité des thèmes abordés, et à  laquelle on se laisse parfois prendre.
 
De nombreux Français pourront en juger puisque la pièce va tourner abondamment, et se poser notamment à l’Opéra Royal de Versailles. Sans doute mûrira-t-elle, car on ne peut douter de la force créatrice de Preljocaj, qui parvient toujours à se renouveler. Tandis qu’en point d’orgue du festival, on se réjouit de revoir le beau Faun de Sidi Larbi Cherkaoui, et son intéressant Noetic, avec sa superbe compagnie du Ballet du Grand Théâtre de Genève. Entretemps, on aura battu du talon, de l’espadrille et de la botte, de la basket et du pied nu avec une foule d’artistes venus des Caraïbes ou de Lorraine, auxquels la danse offre un terreau commun, celui de dire plus que les mots. Encore faut- il lui trouver une grammaire… Que les meilleurs gagnent.
 
Jacqueline Thuilleux

Mythologies (chor. Angelin Preljocaj / mus. Thomas Bangalter) – Biarritz, Gare du midi, 8 septembre 2022. Festival le Temps d’Aimer la Danse jusqu’au 18 septembre 2022 // www.letempsdaimer.com    
 
Photo © Olivier Houeix      

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