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Marseille - Compte-rendu : Manon ou le grand style français
C’est une Manon très symbolique qui clôt le règne de Renée Auphan à l’Opéra de Marseille dont elle demeurera toutefois conseiller artistique. C’est, en effet, avec cet ouvrage de Massenet qu’elle fit ses débuts non seulement à Marseille, mais aussi à l’opéra tout court, en tant qu’assistante à la mise en scène de Louis Ducreux, il y aurait, à l’en croire, près d’un demi-siècle… Renée Auphan est bien de Marseille, va !
Ce nouveau spectacle est dédié à la mémoire du grand homme de théâtre que fut Louis Ducreux. Il est signé Renée Auphan et Yves Coudray pour une mise en scène vive et ajustée, Jacques Gabel pour des décors aussi discrets que suggestifs et Katia Duphlot pour des costumes de très belle facture. Enfin, le chef Cyril Diedrich sait motiver et alléger l’orchestre maison.
L’action ne se passe évidemment pas dans un abri anti-atomique ! Renée Auphan qui entre ses deux Manon a chanté Javotte dans celle présentée naguère par Rolf Liebermann au Palais Garnier, puis dirigé les Opéras de Lausanne et de Genève, a bien les pieds sur terre comme sur les planches : « la partition ne supporte aucune transposition », tranche-t-elle. Car Massenet l’a inscrite dans le siècle de l’Abbé Prévost et l’en sortir serait une trahison. D’autant que le livret perdrait en pertinence ce qu’il gagnerait en ridicule ! Surtout lorsqu’on comprend les chanteurs, ce qui est heureusement le cas ici.
La jeunesse y côtoie allègrement les talents chevronnés. L’assistance chenue d’un dimanche après-midi fit justement fête au couple vedette de jeunes tourtereaux. La soprano albanaise Ermonela Jaho a pris la mesure d’un personnage moins simple qu’il n’y paraît à première vue. Le timbre est frais et fruité, la taille bien prise et la prononciation impeccable : une jolie prise de rôle. On en dira tout autant de son Des Grieux, le ténor Roberto Saccà qui conjugue origines italiennes et germaniques, mais maîtrise parfaitement le style de l’opéra comique français : ses interventions sont un bonheur constant. En voilà un que la nouvelle salle Favart de Jérôme Deschamps devrait inviter régulièrement.
La perfection est du côté de l’expérience avec le somptueux Comte Des Grieux d’un Alain Vernhes qui sait être bien plus qu’un père noble ! Il incarne le modèle du beau chant à la française, passant sans changer de registre du chanté au parlé, ce qui confère un naturel garanti d’origine à notre vieil opéra comique malmené plus souvent qu’à son tour par la mondialisation lyrique ! Je n’oublierai pas l’acteur qui vaut le chanteur Alain Vernhes. Son cadet le baryton Jean-Luc Chaignaud fait un beau retour au pays après une longue escapade à l’étranger, dans un Lescaut chien fou à souhait.
L’autre ténor de cette Manon c’est le Guillot de Morfontaine de Christian Jean magnifique dans ce rôle de pur salaud, qui n’oublie pas pour autant qu’il campe un grand seigneur méchant homme d’une Régence canaille. La mise en scène a superbement creusé en profondeur ces caractères qui échappent ainsi aux stéréotypes habituels.
Moralité : laisser reposer le plat un demi-siècle avant de servir…
Jacques Doucelin
Opéra de Marseille, le 4 mai 2008. Dernières représentations : les 7 et 9 mai, 20h. Location : opera.marseille.fr 04.91.55.11.10
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Photo : DR
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