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« L’Histoire de Manon » au Palais Garnier - Kenneth MacMillan, maître du psychodrame - Compte-rendu

Voilà un ballet de Massenet qui ne tire aucune note de sa Manon : comme pour John Cranko et son Onéguine, mais de façon beaucoup moins gênante, tant Manon est atmosphère alors qu’Onéguine est marqué par des temps caractérisés, des airs fameux, qu’on souffre de ne pas retrouver dans le ballet. Pour L’Histoire de Manon, faite d’un patchwork délicatement cousu d’après de multiples extraits de Massenet, Kenneth MacMillan, le plus grand chorégraphe anglais, régnant sur le Royal Ballet avant de voguer de Berlin à Stuttgart et sur toutes les places fortes de la danse qui se l’arrachaient, a suivi la ligne qui fit son succès : le ballet narratif, en plein essor dans ces années 1960, puisque le sud-africain Cranko, installé à Stuttgart, avait lui aussi relancé le genre. Et ce avant que John Neumeier ne le portât à son apogée à Hambourg, tandis que Béjart cultivait un genre plus elliptique.

On ne se lasse pas de cette Histoire de Manon, poétique et cruelle, fine, cynique et surtout bouleversante, tant les héros semblent dépassés par leur temps et l’amorale innocence de leur passion. MacMillan avait déjà donné à la scène londonienne son superbe Roméo et Juliette où brilla Noureev avec une Margot Fonteyn quinquagénaire et transcendée par son prodigieux partenaire, avant que le même Noureev ne commît lui-même un Roméo et Juliette qu’on ne cesse de voir à l’Opéra de Paris, marqué par lourdeur et pompiérisme, alors que celui de MacMillan est d’une finesse psychologique, et d’une fluidité gestique qui annoncent par leur romantisme effréné ceux de la Dame aux Camélias de Neumeier.

Créé à Londres en 1973 avec Anthony Dowell et Antoinette Sibley, couple star de Covent Garden, L’Histoire de Manon a fait son entrée à l’Opéra de Paris en 1990 avec des interprètes historiques : c’était l’époque des Monique Loudières, Isabelle Guérin, Elisabeth Maurin, Emmanuel Legris, Laurent Hilaire et Kader Belarbi, avec même une Guillem peu dans son emploi mais époustouflante. Plateaux fastueux dont les interprètes d’aujourd’hui prennent la relève à leur façon : et il en est de belles, car si Isabelle Ciaravola n’a plus l’âge du rôle, elle comble cette lacune par sa beauté sinueuse, ses pieds et ses dégagés fabuleux, tandis qu’Agnès Letestu donne au rôle l’intensité dramatique que son physique de top model ne laisse pas toujours supposer, et qu’Aurélie Dupont séduit par sa grâce sensuelle.

Et comment ne pas s’émerveiller devant la finesse de Matthieu Ganyo, la sensibilité du jeune Josua Hoffalt, récemment promu étoile, ou la puissance de Nicolas le Riche, un rien trop athlétique pour ce personnage de jeune intellectuel un peu effacé, mais souverain dans ses sauts et ses portés, et émouvant dans son identification au rôle, où il retrouve une seconde jeunesse. Il faut dire que son émotion était transparente le soir de la première, puisqu’il y regardait avec une tendresse infinie sa délicate et spirituelle épouse Claire Maire Osta, laquelle fera en Manon son ultime apparition à l’Opéra le 13 mai.

Et on ne saurait souligner assez la beauté des costumes et des décors de Nicholas Georgiadis, habituel complice de MacMillan puis de Noureev, déplacés vers la fin du XVIIIe siècle, sans qu’on y trouve grand-chose à redire. Bref une soirée beaucoup plus fidèle à Massenet que la grossière injure qui a été infligée à son opéra sur le plateau de Bastille, cette même saison.

Jacqueline Thuilleux

« L’Histoire de Manon » - Paris, Palais Garnier, 21 avril 2012. Jusqu’au 13 mai 2012.

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Photo : Aline Deniau / Opéra de Paris
 

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