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Les Vêpres de Philippe Hersant à Notre-Dame de Paris - Musique de l’espace - Compte-rendu

Ouverte en décembre 2013 avec les Vêpres de la Vierge de Monteverdi, désormais fermement ancrées dans le répertoire de la Maîtrise Notre-Dame de Paris, l'année du jubilé de la cathédrale s'est refermée avec la création mondiale des Vêpres de la Vierge de Philippe Hersant (photo), commande de Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris avec le soutien de la Fondation pour le 850ème anniversaire de ce haut lieu de la musique. Que pouvait-on ou devait-on imaginer ou anticiper – un strict pendant contemporain du chef-d'œuvre de Monteverdi ? Si Philippe Hersant s'est volontiers imposé de recourir à quelques instruments anciens, en partie bien que discrètement emblématiques de cette œuvre imposante : trois sacqueboutes et deux cornets – en l'occurrence les Sacqueboutiers, Ensemble de cuivres anciens de Toulouse, fidèles partenaires de Notre-Dame –, la disposition vocale et instrumentale diffère en réalité grandement du « modèle » montéverdien : ensemble choral (la Maîtrise, disposée en triple chœur) ; deux solistes vocaux : le baryton Alain Buet, magnifique de sobriété dans la déclamation, et le ténor Robert Getchell, dont le timbre se projette avec tant d'aisance (hélas sous-utilisé, jusqu'à la frustration) ; deux orgues : Olivier Latry en tribune et Yves Castagnet dans le chœur – tous sous la direction de Lionel Sow. Pas de dessus vocaux solistes (et surtout pas de virtuosité ornementale), pas de cordes non plus. D'une grandeur on ne peut plus en rupture avec la virevoltante magnificence d'un Monteverdi (Philippe Hersant est certes né en Italie, mais à Rome, où l'on se prévaut de la tradition palestrinienne, toute sobriété et gravité, loin de l'extravagante effervescence mantouane ou vénitienne), cet univers sonore n'en revendique pas moins une réelle « opulence », celle de l'intime, en tout premier lieu à travers l'écriture des parties chorales, amples, complexes et souvent vibrantes, bien que d'une constante modération.

L'œuvre s'organise en trois sections, chacune introduite par une Toccata pour orgues : pages sobres, développées et pourtant presque en retrait, triple entrée en matière spirituelle plus que pièces d'apparat. Composées pour le vaisseau de Notre-Dame de Paris, ces Vêpres concèdent « un rôle essentiel à l'espace », dimension d'emblée illustrée, après la Toccata I aux orgues alternés ou simultanés, par le chœur d'enfants (chant homophonique a cappella) se déplaçant progressivement, par étapes, du bas de la nef vers la croisée, pour un effet à la fois réellement spatio-temporel et comme affranchi du temps, porte ouverte sur la méditation. Puis ce fut, comme de tradition en un lieu et dans une œuvre d'obédience mariale, un Ave maris stella polyphonique, les cuivres accompagnant tour à tour les différents pupitres vocaux, suivi du Psaume 141 – antienne pour baryton et chœur puis psaume proprement dit, la disposition vocale et instrumentale évoluant au gré du texte : chœur et sacqueboutes, chœur et petit orgue, baryton, ténor (son unique intervention) et chœur, l'ultime Gloire au Père s'épanouissant sur le soutien discret des deux orgues.
 
Après avoir joué sur le dialogue de jeux solistes, d'un orgue à l'autre et jusqu'à une danse joyeuse des cornets (ceux des orgues et des Sacqueboutiers), la Toccata II s'efface devant le Psaume 126, où de nouveau le baryton occupe une place de premier plan, suivi du Cantique aux Éphésiens, introduit par l'une des pages assurément les plus poétiquement séduisantes de l'ouvrage, ponctuée de cloches-tubes – David Joignaux – séduisantes et faisant presque penser à la merveilleuse évocation pastorale de la campagne romaine au début de l'Acte III de Tosca –, cloches que l'on retrouve en clôture de cette section centrale des Vêpres, après avoir entendu toutes les configurations possibles, délicatement intégrées et enchaînées, des voix, cuivres et orgues.
 
Au terme d'une Toccata III faisant écho à la pièce initiale (thème sur guirlande tel un lointain écho de Tournemire en tribune, avec entrée tardive de l'orgue de chœur), la dernière partie est entièrement consacrée au Magnificat, lui-même introduit par une sinfonia pour vents, hommage à la Renaissance se faisant intermède récurrent. Au cœur du mouvement, après une déploration des sacqueboutes et cornets, retentit l'un des rares grands déploiements vocaux de ces Vêpres, lesquelles se referment dans un climat sous-tendu de mystère, sur pédale gravissime de l'orgue, vaste et lente amplification conduisant à un Amen inlassablement proclamé en vagues successives, conclusion toute de gravité, apothéose inversée et puissamment intériorisée.
 
Très beau travail, d'une parfaite et sensible ductilité, de la Maîtrise et de tous les instrumentistes, conduits d'une main souple et ardente par Lionel Sow, qui avec les forces vives de la cathédrale refermait ainsi une saison particulièrement éclatante par sa diversité et la qualité des interprétations proposées. Compte tenu de l'ampleur de l'organisation en amont et des moyens requis, il va de soi que l'aventure de l'année jubilaire, avec ses deux grandes commandes-créations : Le Livre de Notre-Dame (cf. compte rendu du 4 décembre 2013) et ces Vêpres de la Vierge – œuvres que l'on retrouvera toutes deux au disque, respectivement en juin et octobre 2014 (Label Maîtrise Notre-Dame de Paris) –, ne pouvait que relever de l'exception.
 
La saison 2014 sera dès lors recentrée sur le répertoire, alternant ou confrontant les œuvres les plus diverses, célèbres ou à redécouvrir, tout au long d'une triple programmation : les concerts de chant grégorien et de musique médiévale, sous la direction de Sylvain Dieudonné, des Musiques au temps de saint Louis (29 avril) aux Cantigas de Sancta Maria (6 mai) ; les prestations de la Maîtrise et du Chœur d'enfants sous la direction d'Émilie Fleury, dès le 11 février avec la Suite liturgique de Jolivet et la Cantate des Proverbes de Milhaud ; enfin le « grand » répertoire, à commencer par le Requiem de Berlioz (22 janvier), avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France, l'Orchestre Symphonique Simón Bolívar du Venezuela, le
 Chœur de Radio France et la Maîtrise Notre-Dame de Paris (Celso Antuñes et Lionel Sow, chefs de chœur), tous sous la direction de
 Gustavo Dudamel, puis, sous la férule de Lionel Sow, des programmes autour du Miserere d'Allegri (auquel répondront a cappella Britten, Mendelssohn et Poulenc – 4 mars et 3 juin) puis de Bruckner (Messe n°2) et Messiaen (Et exspecto resurrectionem mortuorum) avec l'Orchestre du Conservatoire de Paris dirigé par Jean-Philippe Wurtz (8 avril). À noter la venue de Sir Roger Norrington et de l'Orchestre de Chambre de Paris pour la Messe en ut mineur de Mozart (22 mai), ainsi que deux concerts réunissant de nouveau la Maîtrise Notre-Dame de Paris et la Maîtrise de Radio France : le 17 juin, avec le Quatuor Parisii et au pupitre tant Sofie Jeannin qu'Émilie Fleury, pour Le Miroir de Jésus (1923), œuvre majeure d'André Caplet – dont la Maîtrise de Radio France, le 11 mars à Saint-Eustache, donnera la fameuse Messe à trois voix a cappella (1920), elle-même d'ailleurs bien présente au répertoire de la Maîtrise de la cathédrale –, puis le 1er juillet pour les Motets de Bach, sous la direction de Sofi Jeannin et de Lionel Sow.
 
Michel Roubinet
 
Paris, Notre-Dame, 10 décembre 2013

 Photo © A. Yanez
 
Sites Internet :

http://www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/
 
Philippe Hersant
http://www.philippehersant.com
 

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