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Le Chœur national de chambre Madrigal-Marin Constantin à Sainte-Clotilde – Sous le signe de l’Année France-Roumanie – Compte-rendu

Véritable star en Roumanie, le Chœur national de chambre Madrigal – Marin Constantin effectuait fin novembre-début décembre une tournée marquant l’ouverture de l’Année France-Roumanie 2019, alors même que l’on célébrait le centenaire de la Roumanie moderne : le 1er décembre 1918, Transylvanie, Bessarabie et Bucovine étaient rattachées au Royaume de Roumanie (dit Vieux Royaume, issu de la réunion en 1878 de la Valachie et de la Moldavie), le pays étant dès lors dénommé Grande Roumanie. Après le concert d'ouverture proprement dit de la Saison, la veille 27 novembre aux Invalides et a cappella, un double concert, a cappella puis avec orchestre, était proposé en la basilique Sainte-Clotilde, lui-même suivi de concerts à Lyon, Bordeaux et Genève.
 
Créé en 1963 par Marin Constantin (1925-2011), chef réputé dans les répertoires de la Renaissance et du baroque, du grégorien et du folklore roumain, le Chœur Madrigal, dirigé par Anna Ungureanu qui travailla dix ans au côté du fondateur, est devenu une institution nationale œuvrant désormais en lien étroit avec le programme Cantus Mundi créé par le chef d’orchestre Ion Marin (fils de Marin Constantin). Il s’agit du plus grand programme d’intégration sociale par la musique en Roumanie : « aucune école sans chœur ! ». Quelque trente mille enfants ont pu en bénéficier au cours des sept années écoulées. En novembre 2016, le Chœur a été nommé Ambassadeur officiel de la Liberté, de l’Espoir et de la Paix, recevant à l’ONU le prix « Jean Nussbaum et Eleanor Roosevelt ».
 
À lire les commentaires prodigieusement élogieux signés Leopold Stokowski, Elisabeth Schwarzkopf, André Jolivet ou Yehudi Menuhin – le meilleur chœur du monde ou peu s’en faut – accompagnant les documents de promotion de cette tournée, on ne pouvait qu’aussitôt ressentir une certaine mauvaise conscience à ne pas connaître l’insigne Madrigal. Et le fait est que le choc fut considérable à l’écoute d’une formation (ils étaient un peu plus d’une trentaine à Sainte-Clotilde) que l’on imagine volontiers constituée d’autant de valeureux solistes qu’il y a de choristes – on eut d’ailleurs l’occasion d’en entendre au cours de ce double programme, intégralement chanté par cœur. Revêtus de somptueux costumes avec fraise ou collerette évoquant le règne d’Henri III, en souvenir sans doute de leur répertoire initial : la Renaissance, les musiciens proposèrent tout d’abord, sous la direction d’une absolue précision d’Anna Ungureanu, une carte de visite de la pluralité de leur répertoire. Extraordinaire justesse des voix, musicalité sans faille, souffle non quantifiable, a priori infini et impressionnant tout au long des pièces comme dans les tenues ou decrescendos de conclusion, tout ne fut que saisissement, également l’aisance de chacun et de tous, au prix d’un travail que l’on n’ose imaginer, à produire des merveilles d’une manière (semblant) la plus spontanée qui soit, révélant au passage un solide esprit de corps.
 
Hans Leo Hassler : Cantate Domino, Tomás Luis de Victoria : Ave Maria, Alessandro Scarlatti : Exultate Deo, côté musique ancienne, ampleur et pureté d’intonation sous-tendant une intelligibilité suprêmement équilibrée des parties, sans que l’on puisse véritablement « juger » du style, « historiquement informé » ou non, chaque pièce se trouvant isolée d’un contexte plus parlant ; grandioses Os justi (« La bouche du juste », 1879) d’Anton Bruckner et Laudate (1990) du compositeur norvégien Knut Nystedt (1915-2014), côté « modernes ».

Anna Ungureanu © Chœur national de chambre Madrigal – Marin Constantin
 
Deux pages distantes dans le temps de compositeurs roumains ajoutèrent à la fascination de l’écoute le plaisir de la découverte d’un répertoire ignoré. À Minune prea mare de Paul Constantinescu (1909-1963) fit suite Pripeala (Silviu Năstase, soliste), page hypnotique de Filotei Monahul (fin XIVe-début XVe) immergeant l’auditeur dans l’atemporelle tradition orthodoxe : sur un infaillible bourdon des voix d’hommes s’éleva une mélopée confiée aux voix de femmes, et inversement après un solo de transition : bourdon des femmes et mélopée des hommes, un nouveau solo, via le chœur au complet, réintroduisant la disposition initiale, le tout gorgé de saveurs balkaniques et presque moyen-orientales – ailleurs. Le très prolifique (en matière de musique vocale : messes et motets mais aussi chants profanes) compositeur lituanien Vytautas Miškinis (né en 1954) complétait cette première partie – Pater noster en registres superposés, aux motifs extrêmement rapides, hachés et répétitifs d’une partie du chœur répondant des phrases solistiques généreusement déployées, jusqu’à un amen susurré, le souffle morendo.
 
La seconde partie du concert fit entendre le Requiem de Fauré, que lui-même avait dirigé en 1905 dans l’imposante Salle Byzantine de l’Hôtel ou Palais de Béhague (1), auquel la comtesse Martine de Béarn fit apporter de nombreuses modifications à partir de 1893, notamment cette aula de concert dotée d’un orgue Mutin entièrement expressif, dissimulé derrière des jalousies : la console a disparu – il n’est plus joué depuis des décennies – mais il est resté dans son élément, intact depuis sa reconstruction après l’incendie de 1903. La Salle Byzantine passe pour être l’espace de théâtre et de concert le plus vaste de Paris dans une demeure privée (à visiter absolument, par exemple, accompagnées de concerts, lors des Journées du Patrimoine) : l’Hôtel de Béhague fut acheté en 1939 par Carol II pour en faire l’Ambassade de Roumanie, non loin de Saint-Clotilde.
 
Souple et malléable, puissant (le premier violoncelle notamment) et investi à l’instar du Chœur, l’orchestre (violon solo : Florin Szigeti, membre fondateur du Quatuor Enesco) en petite formation : 14 cordes, 3 cors, harpe et orgue – Éric Ampeau à l’orgue de César Franck (maintes fois retouché, il est vrai) était l’Ensemble Instrumental de Paris, formation à géométrie variable créée en 1998 par le chef franco-roumain Christian Ciuca, qui dirigeait ce Requiem – ici à mi-chemin entre la version intimiste initiale et la deuxième version, augmentée du Libera me avec ajout de cuivres. Après l’Introït & Kyrie doux et sombre, irruption de la lumière dans le Sanctus, avec entrée des violons et bercement de la harpe – la magie de ce Requiem multiforme et si souvent autre dans sa mise en œuvre instrumentale opère toujours. Le Chœur Madrigal fut naturellement exemplaire, à l’évidence familier d’un tel répertoire : les liens culturels entre la France et la Roumanie, et leurs musiques, relèvent d’une déjà longue histoire.
 
Les solistes représentaient les deux pays : Liliana Faraon, native de Iaşi (Moldavie), pour le Pie Jesu – belle et émouvante ligne vocale – « un requiem doux comme moi-même » aurait dit Fauré, quand cette mélodie sublime entre toutes n’est pas qu’un doux présent pour l’interprète, dont c’est la seule intervention, à froid, un vrai défi, poétiquement relevé. L’Hostias de l’Offertoire et le Libera me revenaient au baryton français Jean-Louis Serre, à la tête d’un répertoire des plus variés et tout aussi connaisseur de cet aspect de la musique française, restitué avec style et sobriété. Un Requiem plein de passion et de lyrisme, tant de la part des voix que des instruments, couronné en bis d’une reprise du Sanctus – et d’une énigmatique pièce a cappella qui s’est révélée extraite de la suite Fluierase si buciume (petites flûtes et bucium, instruments de bergers) écrite par Mihai Moldovan (1937-1981) pour le chœur Madrigal : improvisation sur une base écrite, ahurissante fantasmagorie en forme de colloque d’oiseaux, par groupes ou solistes, plus étranges et merveilleux chanteurs les uns que les autres, tel un rêve à la nuit tombée.
 
Michel Roubinet

Paris, Basilique Sainte-Clotilde, 28 novembre 2018
 
(1) Hôtel de Béhague (Ambassade de Roumanie en France) et orgue Charles Mutin
www.paris-promeneurs.com/Patrimoine-ancien/L-hotel-de-Behague-Ambassade-de
institutroumain.wordpress.com/la-salle-byzantine/
 
 
Sites Internet
Institut Français & Saison France-Roumanie 2019

www.institutfrancais.com/fr/saisons/roumanie
www.culture.gouv.fr/Actualites/Les-temps-forts-de-la-Saison-culturelle-France-Roumanie

Photo © DR

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