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La Didone de Cavalli au Théâtre des Champs-Elysées - Un nouveau bonheur pour l’opéra vénitien

En s'acclimatant à Venise en 1637, avec l'ouverture du Teatro San Cassiano, l'opéra, importé de Rome par Francesco Manelli, se fait phénomène de société, avec des salles désormais à entrée payante : une innovation grosse de conséquences dans l'évolution des goûts du public.

Au fil de cette passionnante histoire lyrique, un musicien va s'affirmer comme un créateur fondamental, s'agissant de Pier Francesco Cavalli (1602-1676), dont le maître ne fut autre que Monteverdi des années durant à la Basilique Saint-Marc. Et cependant, plus que pour sa carrière de musicien d'église (il parviendra pourtant au poste de maître de chapelle en 1668), Cavalli, qui emprunta son nom à son protecteur Federigo Cavalli (1), est surtout connu pour son imposante production opératique. Créateur d'un nouveau style qui va marquer l'Europe entière, il s'y impose comme le premier compositeur de son temps, dans le sillage immédiat du divin Claudio, mort en novembre 1643.

Dans ce domaine, il surpassera tous ses rivaux, composant 42 ouvrages entre 1639 et 1669 qui, pour la plupart, seront des réussites notoires. Une production qui lui assurera une popularité à laquelle n'est pas étrangère la manière expressive de sa musique, plus à la portée du grand public que celle du Crémonais. En tout cas, La Didone représentée en 1641 sur un remarquable livret de Francesco Busenello (le librettiste du Couronnement de Poppée), fait aujourd'hui l'événement au Théâtre des Champs-Elysées dans la production des Arts Florissants déjà présentée au Théâtre de Caen en octobre dernier, dans une mise en scène de Clément Hervieu-Léger et sous la direction de William Christie (2). Si les sources sont à rechercher dans l'Antiquité grecque et chez Virgile, l'humanité des personnages y est un évident signe de modernité; modernité qui deviendra une règle majeure de l'opéra vénitien du milieu du siècle, précisément dans la continuité de ce chef-d'oeuvre qui mêle personnages divins, nobles et roturiers dans un foisonnement d'humeurs bigarrées et alterne dans un heureux va-et-vient les genres sérieux et comique.

Pour autant, ce glissement de l'idée dramatique vers une manière de «second degré» pluraliste n'empêche pas le tragique d'affleurer avec force dans l'admirable scène d'adieu chantée par Enée. C'est que les archétypes opératiques sont encore proches, qui pèsent de tout leur poids sur les structures du «drame en musique». En fait, Cavalli va d'instinct aux formes qui lui conviennent, glissant du récitatif vers l'arioso et l'air avec un savoir-faire sans pareil. Et l'on n'oubliera pas, outre la Didone, ces autres sommets scéniques que sont, chez lui, L'Egisto (donné en février l'Opéra Comique), L'Ormindo, Il Giasone, Xerse et cette adorable Calisto, révélée par l'exhumation si inventive de René Jacobs et Herbert Wernicke. En clair, le grand réveil de Cavalli vient à son heure, auteur idéal, avec sa diversité de modes de chant (cantar passaggiato, cantar sodo, cantar d'affetto), pour servir la théâtralité des passions dans un contexte qui se fait le pressentiment de la miraculeuse Incoronazione à naître l'année suivante.

Roger Tellart

(1) Le musicien que nous connaissons sous le nom de Cavalli était né Caletti- Bruni)

(2) Le spectacle est le fruit d’une coproduction entre le Grand Théâtre de Luxembourg, le Théâtre des Champs-Elysées et le Théâtre de Caen.

Cavalli : La Didone
Les 12, 14, 16 et 20 avril 2012
Paris – Théâtre des Champs-Elysées

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Photo : Pascal Gely
 

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